Une image de « The Perfect Storm », le film qui a inspiré au philosophe Stephen Gardiner sa métaphore de la difficulté à lutter contre le changement climatique. DR L’accord sur le changement climatique signé à Paris en décembre 2015 a été présenté par de nombreux commentateurs comme un franc succès. Les raisons d’en douter sont pourtant nombreuses : au-delà des déclarations ambitieuses sur la limite des 2 °C (voire 1,5 °C) de réchauffement global à ne pas dépasser, les mécanismes permettant d’organiser concrètement la transition vers une économie décarbonée et d’assurer la justice climatique semblent faire cruellement défaut. Et pour cause, après plus de vingt ans de négociations internationales et d’alertes scientifiques, le climat n’est toujours pas une priorité ni des gouvernements, ni de nos concitoyens. Une étude récente montrait même que la sensibilité à ces questions marquait le pas dans l’Hexagone. Cela n’est toutefois en rien l’apanage des citoyens français, souvent présentés comme moins bons élèves en matière d’environnement que leurs voisins allemands ou scandinaves. C’est que les causes de ce désintérêt sont bien plus structurelles que culturelles. Et la philosophie peut nous expliquer pourquoi. Niveau de sensibilité à l’environnement par tranche d’âge en 2015 (note moyenne sur une échelle de 1 à 7). CGDD/SOeS, baromètre Environnement de l’enquête « Conditions de vie et aspirations » réalisée par le Credoc en janvier 2015. Nous savons et nous ne faisons rien Nous sommes aujourd’hui parfaitement informés que nombre de nos actions, et plus généralement le fonctionnement de l’économie mondiale, sont nuisibles à la stabilité du climat. Les conséquences sur la sécurité alimentaire, la santé mondiale ou les déplacements massifs de populations sont très préoccupantes. Il serait donc injuste de ne pas lutter efficacement contre le changement climatique. Comment expliquer alors le fossé, la « dissonance cognitive » pour reprendre un terme emprunté à la psychologie sociale, entre les normes admises et nos comportements ? Le philosophe américain Stephen Gardiner, spécialiste de l’éthique environnementale, l’explique à l’aide d’une métaphore météorologique qu’il appelle la « parfaite tempête morale » et que lui a inspiré le film catastrophe, The Perfect Storm. Dans son livre du même nom, il nous propose d’imaginer l’humanité comme un navire piégé en haute mer, pris entre trois tempêtes particulièrement violentes, formant ensemble la catastrophe naturelle du siècle. Ces événements distincts, qui se renforcent mutuellement, ce sont : la tempête globale, la tempête intergénérationnelle et la tempête qui s’abat sur nos théories politiques et morales. L’humanité dans la tourmente La « tempête globale », qui alimente notre incapacité à résoudre le problème du changement climatique, désigne un phénomène dont les causes sont dispersées, fragmentées, et qui requiert la coopération de tous les acteurs mondiaux ; ses principales victimes se trouvent de surcroît bien souvent à des milliers de kilomètres des principaux responsables ; les Bangladais subissent ainsi les conséquences des émissions de CO2 des Américains ou des Européens. À cela s’ajoute la « tempête intergénérationnelle » : la dispersion des causes et des conséquences du changement climatique est non seulement spatiale, mais aussi temporelle. Les gaz à effet de serre vont en effet rester en moyenne de quelques dizaines à quelques centaines, voire plusieurs milliers d’années dans l’atmosphère. Leur impact est donc largement différé. La tempête intergénérationnelle constitue sans doute un péril plus menaçant encore que la tempête globale : même s’il est difficile de coordonner une action collective entre des acteurs éparpillés aux quatre coins du monde, c’est néanmoins possible ; en revanche, des générations suffisamment éloignées dans le temps ne se rencontreront jamais. Impossible donc pour les générations futures – qui subiront la plupart des dommages du changement climatique – d’exercer une contrainte sur les générations précédentes – qui tirent les bénéfices des émissions de gaz à effet de serre – pour les forcer à réduire leur impact ! Plus encore que la justice globale, qui souffre de l’absence d’un État mondial capable de dépasser les conflits, la justice intergénérationnelle souligne l’inadaptation de nos structures politiques court-termistes. La troisième tempête évoquée par Gardiner est celle qui s’abat sur nos théories politiques et morales, impuissantes face aux défis posés par le changement climatique. Comment prendre en compte l’incertitude scientifique dans les décisions politiques ? Quelle place faire à la nature et aux autres êtres vivants dans nos institutions ? Quelles réponses apporter aux questions complexes de l’éthique intergénérationnelle et globale ? Comme Hans Jonas le notait à propos de la morale kantienne dans son best-seller philosophique, Le Principe de responsabilité, il n’est plus permis de délibérer sur les actions à mener en considérant les individus de manière abstraite, hors de tout contexte environnemental réel. Sylvie Ferrari (Université de Bordeaux) sur le « principe responsabilité » (vidéo UVED, janvier 2016).
Comment éviter le naufrage ? Pris dans cette triple tempête morale, difficile de ne pas céder au fatalisme ; il faut pourtant chercher des solutions et dépasser ces difficultés éthiques qui nous empêchent de réagir de manière appropriée. Il convient en premier lieu de tirer la leçon essentielle de la métaphore de la tempête morale : quand nos meilleures intentions se portent sur ceux qui sont loin de nous, que ce soit dans l’espace ou dans le temps, elles peinent à se concrétiser. Pour inciter les gens à modifier leurs comportements et à agir conformément aux nécessités de la lutte contre le changement climatique, une façon de se sortir de la tempête est peut-être de chercher d’autres motivations, portant sur des objets plus proches… même si cela implique des motivations moins altruistes. On pense ici à ces modes de vie alternatifs à l’impact environnemental faible (simplicité volontaire, slow life, slow food, etc.) dont le but principal consiste à augmenter le bien-être individuel. Au niveau des politiques locales, où la coordination est plus aisée qu’à l’échelle globale, on peut penser à la fermeture de centrales à charbon pour résoudre des problèmes de pollutions locales ressenties hic et nunc, et qui contribue à la réduction plus globale des dérèglements climatiques. Enfin, pour les entreprises et les investisseurs, on peut songer à l’attractivité essentiellement financière que peuvent représenter les secteurs économiques émergents des énergies renouvelables ou de la rénovation énergétique. Si les Français, et les autres, ne montrent pas suffisamment d’intérêt pour les questions climatiques, et plus généralement environnementales, c’est que les défis qu’elles imposent à notre conception du devoir et de notre capacité à agir sont immenses. Revoir notre approche de l’éthique et de la politique devient nécessaire. Le dérèglement climatique est cependant un problème urgent (on pense ici aux « points de basculement ») réclamant des actions immédiates. Il nous faut donc une éthique provisoire, tirant profit de motivations à agir localement et maintenant, qui ne vise pas forcément directement le sauvetage des générations futures. Sans cela, notre croisière sur Terre pourrait bien prendre une tournure catastrophique… Pierre André Article originalement publié sur The Conversation https://theconversation.com/changement-climatique-pourquoi-tant-dindifference-60421
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Pour compenser la chute du commerce, il faut gagner des parts de marché face aux autres. D’où les comportements agressifs comme les guerres de devises ou le protectionnisme. Le commerce mondial progresse désormais très lentement en volume (1 % par an) et recule en valeur, même lorsqu'on exclut les échanges de pétrole et de gaz naturel. Cette faiblesse devrait être durable, car elle est due à des causes structurelles. On voit d'abord la déformation de l'économie mondiale vers une économie de services, les échanges de services étant beaucoup plus faibles que les échanges de biens. En outre, de plus en plus, on observe la relocalisation des productions au voisinage de l'acheteur final des biens, c'est-à-dire l'inversion du processus antérieur de segmentation des chaînes de valeur qui conduisait à découper les processus de production, à les éclater entre différents pays. Ceci se voit clairement en Chine, avec la baisse du poids des exportations de produits assemblés (de 60 % des exportations totales il y a dix ans à 30 % aujourd'hui). Un phénomène lié à la hausse rapide des coûts de production dans les pays émergents et aux exigences de contenu local des gouvernements. Impossible aujourd'hui de vendre des voitures, des avions, des trains, des centrales électriques... dans un pays si une partie importante de la valeur ajoutée n'est pas réalisée sur place. Comportements non coopératifs Le problème est que la stagnation du commerce mondial explique les comportements agressifs, non coopératifs des Etats. En effet, pour croître, pour exporter davantage, il ne suffit plus de suivre la progression du commerce mondial, mais il faut gagner des parts de marché au détriment des autres pays. Le premier comportement est la « guerre des devises », la tentative par beaucoup de pays de gagner des parts de marché dans le commerce mondial par la dépréciation de leur taux de change. Ce comportement est certainement présent depuis 2013 au Japon, depuis 2014 dans la zone euro et en Chine, depuis le début de 2016, de manière liée à l'annonce du Brexit et pour en corriger les effets, au Royaume-Uni. Le deuxième comportement non coopératif est la dévaluation interne. C'est ce qui se passe dans la zone euro, où la guerre des devises prend la forme d'une baisse des coûts salariaux ou de la pression fiscale des entreprises visant à obtenir un avantage de compétitivité-coût vis-à-vis des autres pays de la zone euro. Si on se limite aux quatre plus grands pays de la zone euro, on voit que seule l'Espagne a (pour le moment) mené une dévaluation interne, avec le gel des salaires nominaux depuis 2008, avec la baisse des cotisations sociales des entreprises, et a obtenu un gain de compétitivité-coût dans l'industrie, de 2008 à 2016, de 16 % par rapport à l'Allemagne, 12 % par rapport à la France, 10 % par rapport à l'Italie. Tentations protectionnistes
Passons enfin au protectionnisme, dernière conséquence de la stagnation du commerce mondial. Les exportations progressant lentement, les pays qui recherchent de la croissance peuvent être tentés par le protectionnisme afin de gagner des parts de marché sur leur marché intérieur. L'Organisation mondiale du commerce a compté 22 mesures protectionnistes mises en place par mois en 2016, contre 20 en 2015 et 14 en 2014. La tentation protectionniste (qu'on voit en France pour le ferroviaire, l'agroalimentaire...) en Europe, avec les accords de libre-échange (Canada, Etats-Unis), serait plus faible si le commerce mondial et les exportations progressaient rapidement. Il va falloir s'habituer aux comportements agressifs non coopératifs des Etats. L'incitation à l'absence de coopération est beaucoup plus forte quand le « gâteau global » (les marchés mondiaux) stagne que lorsqu'il est en croissance. La coordination des politiques monétaires, salariales, fiscales, réglementaires risque donc d'être de plus en plus difficile à réaliser, les accords de libre-échange de plus en plus difficiles à signer. Patrick Artus est chef économiste et membre du comité exécutif de Natixis |
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Janvier 2017
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