Pour compenser la chute du commerce, il faut gagner des parts de marché face aux autres. D’où les comportements agressifs comme les guerres de devises ou le protectionnisme. Le commerce mondial progresse désormais très lentement en volume (1 % par an) et recule en valeur, même lorsqu'on exclut les échanges de pétrole et de gaz naturel. Cette faiblesse devrait être durable, car elle est due à des causes structurelles. On voit d'abord la déformation de l'économie mondiale vers une économie de services, les échanges de services étant beaucoup plus faibles que les échanges de biens. En outre, de plus en plus, on observe la relocalisation des productions au voisinage de l'acheteur final des biens, c'est-à-dire l'inversion du processus antérieur de segmentation des chaînes de valeur qui conduisait à découper les processus de production, à les éclater entre différents pays. Ceci se voit clairement en Chine, avec la baisse du poids des exportations de produits assemblés (de 60 % des exportations totales il y a dix ans à 30 % aujourd'hui). Un phénomène lié à la hausse rapide des coûts de production dans les pays émergents et aux exigences de contenu local des gouvernements. Impossible aujourd'hui de vendre des voitures, des avions, des trains, des centrales électriques... dans un pays si une partie importante de la valeur ajoutée n'est pas réalisée sur place. Comportements non coopératifs Le problème est que la stagnation du commerce mondial explique les comportements agressifs, non coopératifs des Etats. En effet, pour croître, pour exporter davantage, il ne suffit plus de suivre la progression du commerce mondial, mais il faut gagner des parts de marché au détriment des autres pays. Le premier comportement est la « guerre des devises », la tentative par beaucoup de pays de gagner des parts de marché dans le commerce mondial par la dépréciation de leur taux de change. Ce comportement est certainement présent depuis 2013 au Japon, depuis 2014 dans la zone euro et en Chine, depuis le début de 2016, de manière liée à l'annonce du Brexit et pour en corriger les effets, au Royaume-Uni. Le deuxième comportement non coopératif est la dévaluation interne. C'est ce qui se passe dans la zone euro, où la guerre des devises prend la forme d'une baisse des coûts salariaux ou de la pression fiscale des entreprises visant à obtenir un avantage de compétitivité-coût vis-à-vis des autres pays de la zone euro. Si on se limite aux quatre plus grands pays de la zone euro, on voit que seule l'Espagne a (pour le moment) mené une dévaluation interne, avec le gel des salaires nominaux depuis 2008, avec la baisse des cotisations sociales des entreprises, et a obtenu un gain de compétitivité-coût dans l'industrie, de 2008 à 2016, de 16 % par rapport à l'Allemagne, 12 % par rapport à la France, 10 % par rapport à l'Italie. Tentations protectionnistes
Passons enfin au protectionnisme, dernière conséquence de la stagnation du commerce mondial. Les exportations progressant lentement, les pays qui recherchent de la croissance peuvent être tentés par le protectionnisme afin de gagner des parts de marché sur leur marché intérieur. L'Organisation mondiale du commerce a compté 22 mesures protectionnistes mises en place par mois en 2016, contre 20 en 2015 et 14 en 2014. La tentation protectionniste (qu'on voit en France pour le ferroviaire, l'agroalimentaire...) en Europe, avec les accords de libre-échange (Canada, Etats-Unis), serait plus faible si le commerce mondial et les exportations progressaient rapidement. Il va falloir s'habituer aux comportements agressifs non coopératifs des Etats. L'incitation à l'absence de coopération est beaucoup plus forte quand le « gâteau global » (les marchés mondiaux) stagne que lorsqu'il est en croissance. La coordination des politiques monétaires, salariales, fiscales, réglementaires risque donc d'être de plus en plus difficile à réaliser, les accords de libre-échange de plus en plus difficiles à signer. Patrick Artus est chef économiste et membre du comité exécutif de Natixis
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Janvier 2017
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