Irons-nous mourir pour Dantzig, demandait Marcel Déat lorsque le IIIe Reich revendiquait cette ville libre en partie peuplée par des allemands. C’est toujours sur les villes libres que s’abattent la barbarie et la dictature des puissants, ceux-là même qui ne reculent pas devant les martyrs. Et c’est dans ces villes symboles qu’intellectuels, politiques, peuples et idées humaines se cachent derrière les murailles de leur propre lâcheté. L’humanité se terre derrière les murailles qu’elle croit inébranlable. L’humanité a quitté Alep. Elle a trop peur.
Nos immobilismes, à l’abri des bombes, papillonnent sous les lumières tamisées de Noël et sur les pavés réchauffés par la cannelle et le vin chaud. Comme toujours, la France et les Français se sont gavés de leur prétention historique à être meilleurs que les anciens. Les uns pensaient que le courage était héréditaire et se riaient bien de ces Français ayant vécu entre 39 et 45 comme si le monde ne s’était pas effondré. Les autres observaient leurs aïeux d’un air consterné, ne cessant de se demander comment l’Humanité avait pu disparaître de la surface du globe pendant de si longues années. Si tous les crimes et toutes les compromissions étaient justifiables au nom de la lutte contre le communisme, c’est aujourd’hui la lutte contre Daech qui vient excuser les plus grandes atrocités. L’Histoire a frappé une nouvelle fois notre génération sans qu’elle ne s’en rende compte. Ses enfants jugeront son silence, attendant patiemment que leur lâcheté n’arrive à son tour. Il fut un temps où Alep était comme Paris, ce soir, après l’Opéra. Il y avait à Alep les lumières des hommes heureux. Il y avait à Alep ces couples avançant bras dessus bras dessous, dans les rues chaudes et dans le réconfort du calme et de la paix. Il y avait à Alep ces enfants qui courraient, malicieux, dans les rues peuplées et vivantes de l’inconscience étourdie. Mais nous sommes restés sourds face à ces mêmes cris qui insupportaient nos âmes au Bataclan, à Nice, à l’Hyper-Cacher, à Hozar-Atorah ou dans les locaux de Charlie. L’humanité avait pourtant besoin d’Alep heureuse. Non, nous n’avons pas entendu l’Humanité gémir au fond d’un trou, nous avons écouté bouchers et criminels justifiant tout par la « géopolitique ». Non, nous n’avons pas entendu les femmes et les enfants d’Alep bastonnés par les bottes des assassins. Médias et journalistes ont cru bon d’éclairer les choix de Poutine et d’Assad par des considérations politiquement rationnelles. Effrayés par la liberté, ravagés par l’idiotie et remplis de ce que la France sait faire de plus dégueulasse, des élus sans légitimité ont eu le culot de se faire photographier avec Assad comme des groupies avec leur icône. Quand Alep hurlait et implorait, la France était à Damas. Alep qui tombe, c’est la France qui gémit. Un peuple meurt devant nous sous les rafales de chasseurs qui vrillent dans les airs. L’esprit de la France est si loin. La France s’est éteint avec Alep. J’espère qu’un jour, la France redeviendra la France. Suffit-il de crier aux oreilles d’un peuple endormi par l’impuissance de croire en quoi que ce soit que la France existe ? Il faudra peut-être alors que politiciens et technocrates se taisent et que ce qui a fait la France redevienne la boussole d’un peuple que je ne reconnais plus. Pour le moment, la France contemple d’un œil sénile les horreurs d’un Poutine qu’elle admire car elle le pense courageux quand il n’a que le courage de l’oppression des plus faibles. De Gaulle disait qu’il y avait un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté des autres … Malraux ajoutait que notre pays ne trouvait son âme que lorsqu’il la trouvait pour les autres. C’est aux abimes que nous avons renvoyé notre âme, un par un. C’est sans voix qu’à mon tour je m’indigne sans avoir rien fait pour sauver ces vies qui en valaient la peine. Ce soir, lorsque le soleil se couchera, Alep sera vide. Millénaire, la ville n’avait jamais connu le silence éternel des cités mortes. Malgré les guerres et les crimes, malgré la barbarie et l’horreur, Alep avait toujours défendu son droit à la vie. Il aura fallu attendre 2016, le progrès, l’Europe, les Droits de l’Homme et l’ONU pour voir son pavillon se baisser et renoncer face au silence complice de ceux qui ne voulaient pas entendre les larmes et les cœurs. La mort, elle, continue son œuvre. Elle n’écoute pas les sanglots des enfants prisonniers des décombres et des vestiges des vies qu’ils ne verront jamais. Non, la mort est trop occupée à signer son passage d’une mare de sang sur les ruines gisantes d’Alep accablée. Loïs Henry
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Juin 2017
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