Très Cher Monsieur Koenig,
J’ai pu lire avec attention un certain nombre de vos articles dont un m’a particulièrement perturbée, mais jamais je n’avais jamais osé m’élever contre votre plume. La sociologie – celle du vote qui plus est – pouvant être appréhendée sous tous les angles, il ne revenait pas à moi, profane, de venir y glisser mon avis. Je fus obligée, pourtant, de sortir de mon attentisme lorsqu’un texte paraphé de votre sceau, M. Koenig, apparut dans les lignes d’un journal que j’affectionne particulièrement. En son sein vous décrivez comme « simpliste » la tendance première qui consiste en l’opposition de l’élite et du peuple, avant d’affirmer que la fracture se situe davantage entre la société « ouverte » d’un côté, et la société « nostalgique » de l’autre sans, par ailleurs, vous embarrasser d’une quelconque nuance dans vos propos («Certains acceptent des frontières plus ouvertes, et d'autres ressuscitent les mythes nationalistes. Certains invitent leurs voisins, et d'autres ferment leurs volets. Certains adhèrent à la société diverse et complexe qui se profile, et d'autres cultivent la nostalgie de l’après-guerre. »). Mais voyez-vous, ce postulat me paraît tout aussi simpliste que celui que vous décriez, si ce n’est plus. La rationalisation d’un vote dérangeant Vous avez construit le fantasme d’une société prétendument manichéenne, et le poids de vos convictions l’a alimenté plus que de raison. Mais entendez bien que la multitude des facteurs sociaux et culturels ayant motivé l’un ou l’autre des choix empêche quiconque d’établir une typologie précise de chacun des deux pans. Aussi, Monsieur, la seule circonstance que quelques 17 410 742 individus se soient prononcé en faveur de convictions opposées aux vôtres ne suffit pas à les reléguer aux rangs de réactionnaires obscurantistes. Pensez-vous que les Français ont pu faire partie de la frange qui « ferme ses volets » après avoir refusé une plus grande intégration en 2005 ? Que, le tiers des maigres 36% de votants entre 18 et 24 ans cultive « la nostalgie de l’après-guerre » ? Ou que la régulation des quatre libertés participe de la « résurrection des mythes nationalistes » ? Moi, je ne le crois pas ! Nul besoin d’opposer catégoriquement le bon et le mauvais, progressistes et réactionnaires, et cela est bien heureux. Je sais combien la tentation de décrédibiliser ses adversaires est forte, il est réconfortant de leur attribuer tous les maux mais soyez bien sûr d’une chose : l’obscurantisme et le repli ne constituent pas l’apanage des pro-brexit, les votants ne sont pas une masse homogène et leurs motivations variées interdisent ici toute classification péremptoire. Or votre étude biaisée a pu vous permettre de vigoureusement clore le débat en érigeant les Remain en grands vainqueurs et ambassadeurs de l’intellect. Cela n’est qu’une manière comme une autre d’asseoir vos propres convictions. A la recherche des racines du mal : mondialisme ou souverainisme ? La manière par laquelle l’Union Européenne a dépossédé les pays d’une partie de leur souveraineté est au cœur des préoccupations, vous le soulignez, mais il ne s’agit pas ici d’un élan réactionnaire aussi nauséabond que celui auquel vous voudriez bien nous faire croire. Les extrêmes existent certes, mais il serait absurde de partir du postulat selon lequel la volonté de maintenir les souverainetés signe dans tous les cas la résurrection d’un nationalisme d’une autre époque. Combattre l’homogénéisation impulsée par l’intégration régionale n’est pas significatif du refus de l’altérité, pas plus que la régulation n’est symbole de repli. A ce sujet, le mondialisme que vous semblez prôner est étrange, et encore plus lorsqu’il conduit à assimiler tout élan national à la haine de l’autre. Contrairement à ce que vous affirmez, l’Union européenne n’est pas homogène, et sa construction, si elle fut motivée par le souci de lier entre eux variété de peuples, se fit aux conditions du respect de leur identité constitutionnelle ainsi que du maintien des prérogatives étatiques. Aussi Monsieur, ne vous offusquez pas d’un Etat mû par la protection de ses particularités lorsqu’il en possède le droit. Contester une telle attitude revient à se positionner dans le camp de ceux qui refusent le multiculturalisme dont j’avais pourtant cru lire la promotion en filigrane dans vos textes… Enfin il n’était pas risqué d’affirmer que le choix des votants lors du referendum fut moral. Cependant l’enjeu ne se pose pas, selon moi, dans les termes que vous avez choisis. Il ne s’agit en aucun cas d’opposer le « peuple d’hier » au peuple prétendument progressiste de demain, ni de se contenter d’un schéma clivant entre l’ostracisme et l’ouverture ; vous conduisez ici le débat à de véritables apories en estimant qu’il n’existe qu’une seule vérité, celle d’une ouverture exacerbée. Mais plutôt faut-il se demander quels buts poursuivait l’Union il y a 40 ans et quels sont ceux qu’elle nourrit désormais. Cela expliquerait beaucoup mieux pourquoi des citoyens qui purent voter pour une adhésion en 1975 – et que vous auriez décrits dans des termes élogieux – puissent aujourd’hui se trouver favorables à une rupture et entrer à vos yeux en disgrâce. Cela n’est pas le fruit d’un repli identitaire ou raciste, mais plutôt celui d’une désillusion en partie provoquée par le dévoiement d’une Union toujours plus tentaculaire. Un renvoi à la déclaration Schumann sera, à cet égard, salutaire. Et la suite, M. Koenig ? Pour le futur, vous prévoyez que le vote sera bien appliqué, et prédisez un R-U ployant sous les méfaits du retrait. Mais à la vérité, qu’en savez-vous ? Lorsque le Royaume-Uni se décidera enfin à se prévaloir de l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne, voilà la première fois qu’il sera mis en œuvre depuis la naissance de l’Union. Les débats seront si âpres qu’ils pourraient bien durer plus de 3 années. En attendant, pensez-vous véritablement que quarante ans d’étroite coopération pourront faire l’objet d’une table rase ? Êtes-vous bien persuadé que des conventions bilatérales ayant des effets peu ou prou similaires à ceux que l’on connait actuellement ne seront pas signées ? Léa Keïta
4 Commentaires
largier
7/4/2016 12:46:36 am
Concision et fluidité caractérisent cet article. Bien argumenté cette plume permet d'ouvrir un débat constructif.
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largier
7/4/2016 02:16:49 am
A lire et relire. Article d'actualité, pertinent, concis et constructif. Une véritable réflexion aboutie permettant un débat d'idées intéressant.
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Nadia
7/4/2016 06:10:50 am
Tout à fait d'accord. Très bon article !
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Chris
7/4/2016 08:50:28 pm
Excellent article doté d'une vision mature et objective qui mérite réflexion.
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Juin 2017
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