C’est un jour pesant à New York, il fait lourd et c’est le cœur serré que se réveillent les habitants de la grande pomme quinze ans après les attentats du World Trade Center. Officiels, rescapés et proches de victimes sont réunis devant le mémorial érigé en l’honneur de ceux qui sont devenus les martyrs de l’Amérique. Soudain une silhouette s’effondre, à côté du maire de la ville, la candidate démocrate et favorite des sondages Hilary Clinton est prise d’un malaise. Prétextant l’émotion, ses communicants seront forcés d’avouer qu’elle est en réalité atteinte d’une pneumonie.
Tout au long de la cérémonie on pouvait apercevoir au loin une tour scintillante, reflétant les rayons du soleil, c’est la Trump Tower. Le destin aussi semble rayonner pour son propriétaire, ce gnostique qui affirme à demi-mots qu’il a été choisi par Dieu. Alors que l’écart avec sa rivale démocrate se resserre de semaines en semaines, ce coup de théâtre devrait faciliter encore un peu son ascension vers la Maison Blanche. Nombreux sont les commentateurs de la vie politique Américaine à rejeter l’élection de Trump dans l’irréel en pointant du doigt son irrationalité. Pourtant l’histoire a montré à bien des occasions que le réel pouvait être fort accommodant avec l’irrationnel. En fait, le scénario d’un Donald Trump à la Maison Blanche est tout à fait possible et même probable. N’oublions pas que jusqu’en septembre 1982, Reagan était largement moqué par la presse qui affirmait qu’il ne serait jamais élu, Georges Bush avait même qualifié le programme économique de son rival républicain « d’économie vaudou ».
De qui Trump est-il l’héritier ?
Donald Trump est loin d’être un phénomène ex-nihilo, il est l’incarnation d’une pensée populiste qui a toujours existé outre-Atlantique et que l’on a trop souvent voulu minorer. Si l’on ne comprend pas cet héritage on ne peut comprendre comment des républicains modérés et rationnels ont pu être dépassés par un candidat milliardaire qui prétend être celui qui « porte la parole de ceux que l’on entend pas ». Comme tous les populistes qui prospèrent aujourd’hui en faisant fructifier leur porte-monnaie électoral sur les débris encore fumants laissés par la crise, Donald Trump doit être pris au sérieux. Mais qualifier celui-ci de populiste n’est pas suffisant, il est indispensable d’abord de définir ce que signifie ce terme aujourd’hui devenu générique de populisme. Daniele Albertazzi et Duncan McDonnell dans le populisme au XXIème siècle le définissent comme une idéologie qui « oppose un peuple vertueux et homogène à un ensemble d'élites et autres groupes d'intérêts particuliers de la société, accusés de priver (ou tenter de priver) le peuple souverain de ses droits, de ses biens, de son identité, et de sa liberté d'expression ». On se trouve bien ici au cœur du problème, Trump alors qu’il est l’incarnation d’une partie de ces élites martèle à qui veut l’entendre qu’il va détruire celles-ci et rétablir le pouvoir des « vrais gens » à Washington. Il promet ainsi une option encore jamais essayée, celle de faire de la politique autrement sans organe intermédiaire. Cette ambition qui peut paraitre attractive pour une certaine partie de la population est en réalité néfaste et menace directement l’Etat de droit. En prétendant se débarrasser des élites en supprimant les corps intermédiaires comme les assemblée élues ou les administration -bref tout ce qui a permis de conserver une certaine concorde au sein de nos sociétés- on ouvre la porte au gouvernement des instincts, à la haine voir à la guerre civile. Trump utilise aussi largement le sentiment d’abandon de certaines franges de la population qui ne se sentent pas représentées alors qu’elles le sont de fait par les mécanismes électoraux. Cette rhétorique, c’est celle qui a fait prospérer McCarthy au début des années 50. Chez les deux hommes, la dimension psychologique occupe une place capitale, l’extravagance et l’usage de l’exagération comme outil rhétorique les rapproche en effet énormément. On prête d’ailleurs à McCarthy la fameuse phrase « plus c’est gros plus ça passe », l’adage Trumpiste par excellence.
Donald Trump est-il un conservateur ?
Il est courant d’utiliser la notion de malaise ou d’insécurité culturelle pour expliquer le succès électoral des conservateurs mais cette analyse est largement incomplète. Elle se base en fait sur des arguments psychologiques dépassés qui ont été utilisés pour tenter d’expliquer le nazisme (notamment chez Adorno). « La contestation des maccartistes doit être en toute précision nommée pseudo- conservatrice. Je prendrai ici le sens de conservateur à Adorno, car ses partisans quoi qu’ils utilisent la rhétorique du conservatisme et se disent eux mêmes conservateurs montrent une résistance constante et sérieuse quant au mode de vie Américain, aux traditions et à la société américaine. Ils ont peu en commun avec l’esprit de tempérance et de compromis qui est le propre du véritable conservatisme au sens classique du terme. Leur réaction politique montre plutôt une haine totale de notre société et de son fonctionnement qui même si elle est en grande partie inconsciente n’en est pas moins profonde. » Richard Hofstadter dans paranoid style Richard Hofstadter en plus d’être l’un des plus brillant observateur de la société Américaine note ici une distinction trop souvent négligée entre conservatisme et populisme. Au fond, si Trump et McCarthy en son temps sont si populaires, ce n’est pas parce qu’ils utilisent des thématiques chères aux conservateurs mais plutôt parce qu’ils prospèrent sur une vague d’indignation et de haine envers la société Américaine à un temps donné. Trump a tout à fait compris cet aspect et cherche désormais à séduire les électeurs de Bernie Sanders dont les affinités avec les conservateurs sont loin d’être évidentes ! L’adhésion des masses s’expliquerait donc ici bien plus par par un rejet du système en tant que tel et de ses élites que par des facteurs psychologiques. De même, on a souvent l’idée que l’électeur type serait , le "petit blanc déclassé" or une étude des soutiens de Goldwater montre que la majorité des militants appartiennent à la classe moyenne supérieure et ne sont pas mis à l’écart de la modernisation au contraire. Ce dernier fut par exemple largement plébiscité dans le compté d’Orange en Californie où la population est en moyenne très aisée et ne peut pas être considérée comme étant mise à l’écart de la modernité.
Surfer sur la peur de la mondialisation :
Trump doit aussi son succès à une compréhension aiguë des frustrations et des craintes qu'a crée une mondialisation loin d’être heureuse pour beaucoup d’Américains. Certes une partie de ses électeurs se sent bien en situation d’insécurité culturelle, craignant la transformation ethnique des Etats-Unis où ils deviendraient une minorité comme les autres. Mais ce sentiment a des motivations largement économiques. Trump ayant intégré cet aspect à son discours, il est le seul sur la scène politique avec Bernie Sanders à proposer de débattre des effets de la mondialisation. Il dénonce notamment les politiques de dérégulation abusives mises en place par Bill Clinton et dont il accuse Hilary Clinton d’être l’héritière. Mais comment ne pas comprendre ce malaise d’une partie de l’Amérique quand on sait qu’aujourd’hui 43 millions d’Américains sont réduits à utiliser des coupons alimentaires, que 15% du pays vit sous le seuil de pauvreté et que comme le démontre Isaac martin, 12 millions de personnes ont été contraintes d’abandonner leur maison pour vivre dans des mobil-homes ou de retourner chez leurs parents après la crise de 2008. Au fond Trump utilise les recettes qui ont fait prospérer le « people’s party » au début des années 1890, lors de la première mondialisation. La modernisation via les chemins de fer et l’urbanisation avait créé naguère un rejet massif des élites qui avaient prospéré grâce à des mesures telles que le railway act. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, face à ces changements, Trump rassure, en adoptant un discours irrationnel, allant jusqu’à affirmer qu’il ira négocier avec les Chinois pour annuler les accords de libre échange. En fait, le candidat républicain prospère grâce au vide laissé par une partie des élites, dont Hilary Clinton sur ce sujet qu’ils refusent d’aborder.
Trump ou la vanité du Narcisse :
Max Weber le savant et le politique, le politique comme métier et vocation : « Il n’existe tout compte fait que deux sortes de péchés mortels en politique : ne défendre aucune cause et n’avoir pas le sentiment de sa responsabilité – deux choses qui sont souvent, quoique pas toujours, identiques. La vanité ou, en d’autres termes, le besoin de se mettre personnellement, de la façon la plus apparente possible, au premier plan, induit le plus fréquemment l’homme politique en tentation de commettre l’un ou l’autre de ces péchés ou même les deux à la fois. D’autant plus que le démagogue est obligé de compter avec « l’effet qu’il fait », c’est pourquoi il court toujours le danger de jouer le rôle d’un histrion ou encore de prendre trop à la légère la responsabilité des conséquences de ses actes, tout occupé qu’il est par l’impression qu’il peut faire sur les autres. D’un côté, le refus de se mettre au service d’une cause le conduit à rechercher l’apparence et l’éclat du pouvoir au lieu du pouvoir réel ; de l’autre côté, l’absence du sens de la responsabilité le conduit à ne jouir que du pouvoir pour lui-même, sans aucun but positif. En effet, bien que, on plutôt parce que, la puissance est le moyen inévitable de la politique et qu’en conséquence le désir du pouvoir est une de ses forces motrices, il ne peut y avoir de caricature plus ruineuse de la politique que celle du matamore qui joue avec le pouvoir à la manière d’un parvenu, ou encore du Narcisse vaniteux de son pouvoir, bref tout adorateur du pouvoir comme tel. Certes le simple politicien de la puissance [Machtpolitiker], à qui l’on porte aussi chez nous un culte plein de ferveur, peut faire grand effet, mais tout cela se perd dans le vide et l’absurde. Ceux qui critiquent la politique de « puissance » ont entièrement raison sur ce point. Le soudain effondrement moral de certains représentants typiques de cette attitude nous a permis d’être les témoins de la faiblesse et de l’impuissance qui se dissimulent derrière certains gestes pleins d’arrogance, mais parfaitement vides. Une pareille politique n’est jamais que le produit d’un esprit blasé, souverainement superficiel et médiocre, fermé à toute signification de l’activité humaine ; rien n’est d’ailleurs plus éloigné de la conscience du tragique qu’on trouve dans toute action, et tout particulièrement dans l’action politique, que cette mentalité. » Ce texte pourtant vieux de plus d’un siècle n’est-il pas violemment actuel ? Ne peut-on pas transposer ces mots pour pour décrire la scène politique contemporaine ? Sans aucun doute. Trump par exemple –mais bien d’autres aussi- entre parfaitement dans le portrait type établi par Max Weber. Comme l’homme politique décrit dans le texte, Trump n’a qu’une conscience éloignée du tragique que peuvent provoquer les mots et pas de conscience du tout du vide et de l’absurde dans lequel il perd le discours politique. Sans aucun but positif, il se refuse à la pensée, qui pourtant doit gouverner les actes des dirigeants pour y substituer ce qu’il appelle « l’action réelle ». Tour de passe passe fort classique chez les populistes, il s’affirme comme anti-intellectuel et se repose sur la mythologie Américaine du « doer ». Mais Weber souligne également ici la différence entre populisme et démagogie. En effet, là où le démagogue cherche à plaire à tout le monde le populiste lui clive pour flatter une partie de la population en en stigmatisant une autre.
Trump Démagogue ou populiste ?
« Tous ces particuliers mercenaires, que le peuple appelle sophistes et regarde comme des rivaux, n'enseignent pas d'autres principes que ceux que lui-même professe dans ses assemblées, et c'est cela qu'ils appellent science. On dirait un homme qui, ayant à nourrir un animal grand et fort, après en avoir observé minutieusement les mouvements instinctifs et les appétits, par où il faut l'approcher et par où le toucher, quand et pourquoi il est le plus hargneux et le plus doux, à propos de quoi il a l'habitude de pousser tel ou tel cri, et quels sons de voix l'adoucissent ou l'irritent, qui, dis-je, après avoir appris tout cela par une fréquentation prolongée, donnerait à son expérience le nom de science, en composerait un traité et se mettrait à l'enseigner, sans savoir véritablement ce qui dans ces maximes et ces appétits est beau ou laid, bien ou mal, juste ou injuste, ne jugeant de tout cela que d'après les opinions du gros animal, appelant bonnes les choses qui lui font plaisir, mauvaises celles qui le fâchent, incapable d'ailleurs de justifier ces noms, confondant le juste et le beau avec les nécessités de la nature, parce que la différence essentielle qui existe entre la nécessité et le bien, il ne l'a jamais vue ni ne peut la faire voir à d'autres. Au nom de Zeus, ne te semble-t-il pas qu'un précepteur serait bien étrange ? » PLATON la république Le texte ci-dessus nous montre l’étroitesse du lien entre démagogie au populisme. En fait la plupart des populistes ont souvent une utilisation populiste du raisonnement démagogique. La démagogie dans l’étymologie signifie l’art de savoir « conduire le peuple », ce qui est assez peu attrayant au final voir anecdotique pour un homme politique qui cherche à être élu. Le Pen dans son altercation veut à l'inverse prouver non pas qu'il est un guide du peuple mais qu'il en est un élément comme les autres. Surtout, une erreur d’analyse consiste à trop souvent vouloir minorer l’importance de ces mouvements en les qualifiants d’anecdotiques, affirmant que sur le long terme ils seront voués à disparaître. Ce phénomène ne disparaîtra pas, au contraire, il est le signe d’une déconnection à laquelle il nous faut remédier, le signe aussi que la gauche de pouvoir a complètement failli à sa mission, laissant son électorat traditionnel basculer dans le populisme. Car ne nous y trompons pas, les conservateurs souvent au caractère tempéré tombent rarement dans les excès de la sophistique. Rédouane Ramdani
1 Commentaire
Largier laurent
9/16/2016 12:58:11 pm
Article assez bien argumenté. Ne pas oublier non plus le rejet des wasp dans une large proportion de la femme Clinton représentant l archétype de la femme trompée ayant sacrifié son orgueil sur l autel de sa carrière politique. L ombre de Monica lewinski plane encore...
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