« La France a le sommeil agité, mais elle dort. Après tant de tribulations, de révolutions, de convulsions, elle n'aspire qu'à se reposer. Qu'elle devrait se réformer si elle voulait survivre, elle le sait. Mais elle ne le peut plus. Elle rêve de le vouloir, mais n'est plus capable d'aucune volonté. Alors, par une sorte de réflexe, chaque nouvelle élection lui est une occasion de sortir les sortants. Comme elle ne cesse de les sortir, elle fait à chaque fois rentrer ceux qu'elle avait auparavant sortis, de sorte que les nouveaux entrants sont les anciens sortants. La vie politique est ainsi devenue une sorte de noria. Aussi impatients que soient les principaux partis de parvenir au pouvoir, il ne leur faut à chaque fois qu'un peu de patience pour le retrouver. N'existant que par le nombre de sièges qu'ils occupent au Parlement, ces partis ont d'ailleurs moins de réalité que d'apparence. Car le nombre de leurs adhérents est à peine supérieur à celui de leurs élus. Nous avons donc affaire à quelque vertigineuse disproportion entre la représentation politique de ces partis et leur importance réelle. Ils sont devenus des sortes de clubs où s'inscrivent, dès qu'ils sont en âge de miser au casino, tous ceux qui se sentent à l'étroit dans le peu qu'ils paraissent, et aspirent par conséquent à occuper autant de charges publiques qu'ils en trouveront à leur portée. Comme pour n'importe quelle loterie, sans doute tous les billets ne sont pas gagnants, mais la première condition pour emporter la mise est d'avoir pris son billet. Par quelque malchance qu'on ait pu débuter, la noria électorale ne manquera pas de faire tourner la roue, et de rendre une fois ou l'autre gagnant le numéro qu'elle avait écarté à la fois précédente » Peut-on être étranger dans son propre pays ? Le voir peu à peu se morceler sous ses pieds ? Oui! C’est là le cri de Nicolas Grimaldi dans « le crépuscule de la démocratie ». Il vit l’aube mais ne reconnait plus la lumière du crépuscule. Les mots qu’il emploie tout au long de l’ouvrage sont durs mais irrésistibles car le ventre de notre démocratie est mou. Comment, dans le climat politique et démocratique actuel ne pas se sentir Persan ? Grimaldi l’est comme un Persan de Montesquieu perdu dans la France de Louis XV. Pourtant depuis un siècle, l’intrigue, la scène et les personnages même, de notre démocratie sont les mêmes. La Bruyère nous en avait soufflé l’indice : la vie des sociétés, la vie politique sont des comédies, comédies qui ont la fâcheuse tendance de se transformer en tragédie. A trop tirer sur la corde de la liberté on finit inévitablement par la briser. Peu à peu les tensions, la rancœur et la haine s’accumulent quand on assiste, impuissant à la déliquescence du système. Peut-on encore affirmer vivre dans une démocratie quand se profile une élection présidentielle où la majorité des Français rejettent les candidats ? Non ! Pire, pour Grimaldi la Boulè est devenue boulet. Face à l’insupportable situation, ce livre est le cri mais il est aussi la larme et aurait pu s’appeler « les regrets » en hommage à Benjamin Constant. L’écueil passéiste La société va mal, certainement, le débat politique est médiocre, pour sûr. Partout prospèrent les prophètes du malheur qui prêchent l’écroulement du pays, ventant un paradis perdu que serait la république d’entant (Finkielkraut, Zemmour pour ne citer qu’eux). Or, tout a en fait toujours très mal marché nous rappelle Grimaldi citant Péguy: au fond si le monde va mal c’est qu’il va et c’est peut-être une bonne nouvelle. Le problème du passé est qu’il est passé, et en cela il n’appartient plus au domaine du réel mais à celui de l’imaginaire. Le passé a tout de séduisant car on y voit ce que l’on veut bien y voire : à Versailles ne voit-on pas que le château ? Qui se souvient de ces ouvriers qui par milliers ont péri sur l’autel du luxe ? Il n’est pas nécessaire de multiplier les exemples pour remarquer que la vie la plus ordinaire a toujours été la plus atroce : qu’on ouvre un livre de Zola ou même de Céline pour s’en persuader. Jusqu’au début du siècle dernier, on naissait pour servir ou pour être servi. Or peu à peu, ce schéma que l’on avait cru dépassé, se reproduit affirme Grimaldi, déplorant l’échec de la méritocratie républicaine et l’émergence d’une oligarchie économico-politique. Et c’est de celle-ci que nait le problème : la classe politique est cancéreuse dans un système à bout de souffle qui ne laisse plus à l’individu l’opportunité de s’exprimer. L’impossible surprise électorale Nul besoin d’être un génie pour s’en apercevoir, la caste politique est la même aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Mais plus inquiétant, note Grimaldi, les mœurs de cette dernière sont les mêmes que celles de la monarchie de Juillet. A l’époque, la démocratie est confisquée par une oligarchie gourmande, vieillissante et à court d’idées. Aujourd’hui pense le philosophe, elle l’est par les partis. En Effet, l’idée selon laquelle la meilleure représentation est celle des étiquettes partisanes a mené à un cul de sac, à une défaite de la pensée. Or la représentation n’est-elle pas la condition même de la démocratie ? Peut-on être représenté par ces étiquettes ? Dubitable. Le système électoral actuel crée lui-même sa propre fin : la disette des talents, l’électeur n’ayant le choix qu’entre ceux qui ont déjà été choisis par ces instances que sont les partis. Qu’a-t-on fait du choix ? Qu’a-t-on fait de l’élan démocratique ? Rarissimes sont ceux qui aujourd’hui adhèrent à ce pour quoi ils votent, trop souvent ils font le choix du moins pire. Alors, la démocratie est-elle réalisable ? Le constat est navrant, le mal est grand, mais pouvons-nous y faire quelque chose ? La démocratie telle qu’elle a été pensée par les grecs -Télémaque dessinant un cercle sur le sable autour de lui- n’est plus réalisable. Rousseau lui-même nous avait mis en garde, la démocratie est irréalisable par nature, elle mène au mieux à une oligarchie participative. En effet pour créer une démocratie il eut fallu que tout le monde se connaisse et que le luxe soit banni. Deux conditions irréalisables. L’un des problèmes de nos démocraties réside également dans la confusion entre volonté générale et volonté de tous. La volonté générale n’est pas la volonté de tous, elle est ce que tout homme en ce qu’il est un homme veut pour le bien de l’humanité. Il va donc de soit donc que la politique doit s’attaquer au général et non au particulier, or aujourd’hui la décision politique est devenu la règle du particulier. Elle a oublié la vision et lui a substitué l’affaire légale, l’hygiénisme insupportable qu’avait déjà entrevu Tocqueville. Est-ce vraiment au politique de débattre de la taille des routes ? L’illusion démocratique Sacha Guitry ; le mot de Cambronne : « Ainsi l’histoire à quoi ça rime ? Cinq fois la France a changé de régime ! On nous a dit que la monarchie était le meilleur de tous les régimes alors on a crié vive les rois de France. Trois ans plus tard, le mot avait changé et ils étaient des traitres à la patrie. On se mit à crier à bas les rois de France ! On nous a dit que ce qu’il nous fallait à nous peuple de France c’était une république, alors on a crié vive la république ! mais voilà que cinq ans plus tard, le système change encore, on nous scande que ce fut une très grande erreur et que la république c’est le pire ! Ce qu’il nous faut c’est un empire ! nous avons tous alors crié vive l’empire ! Et en 1814, on a compris que les bourbons avaient du bon et que mon dieu dans un tel désarrois ça valait mieux encore ! Alors nous avons tous crié vive le roi ! puis de nouveau vive l’empereur !» Le mot démocratie est galvaudé, il est vidé, c’est une coquille vide dans laquelle on met tout ce qui se rapproche de près ou de loin à une élection. La démocratie dans laquelle nous vivons se rapproche en fait de celle que décrit Platon : l’un des pires régimes pour cet amoureux de l’ordre, l’anarchie. Chacun fait ce qu’il lui plaît, rien n’est plus plaisant, rien n’est plus amusant, c’’est une foire de tous les régimes, de toutes les constitutions. Il y a autant de nations que d’individus mais ils ne se font pas la guerre, ils cohabitent paisiblement. Pire, on prend aujourd’hui l’instinct de chaque instant comme le choix du prolétariat. On en fait un symbole de raison devant lequel il faudrait humblement, oh oui humblement le plus humblement possible s’agenouiller. On fait du verbe de l’individu le plus basique un idéal de vertu. Le funeste mot de Robespierre est devenu la règle de chaque individu « Si j’attends de moi-même ce que j’exige des autres, ce sera la dictature de la vertu, quiconque est mon ennemi dans la convention est mon ennemi dans la volonté générale et donc il est l’ennemi du monde humain et puisqu’il est inhumain il faut le supprimer » (29 thermidor) Vivre ou avoir une vie
Le problème sous-jacent au débat démocratique est en fait philosophique affirme Nicolas Grimaldi. Aujourd’hui chacun peut mener sa vie « sans autre envie que de vouloir la vivre encore un peu » comme le disait Tocqueville, après tout ce n’est peut-être pas ambitieux, mais ce n’est certainement pas un vice que de vouloir aimer la vie ! Aujourd’hui le contexte est historique. Il est rarissime dans l’histoire qu'un peuple dans sa quasi totalité puisse occuper son temps tel qu’il le souhaite. Malheureusement, il le fait souvent dans des plaisirs sans ambition où chacun renonce à épouser une grande individualité. Notre comportement est devenu une sorte de déférence devant la vie car vivre c’est déjà beaucoup. L’égalité pour l’individu l’emporte alors sur la liberté. Tout le monde doit vouloir la même chose, qui rêve d’ailleurs se rendra par lui-même dans la maison des fous. L’égalitarisme rend impossible toute originalité, la pression du corps social vous condamne à l’uniformisme ou à l’exclusion. Or cette impulsion est vouée à l’échec, les inégalités vont se développer, et nous allons aboutir comme l’avait senti Guizot, à une aristocratie sans noblesse et une noblesse sans aristocratie. Rédouane Ramdani
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Juin 2017
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