Partout les hommages se multiplient et toute la scène politique salue d’une seule et même voix Michel Rocard pour une dernière fois. Qu’il est étrange ce cortège funéraire où l’on trouve, nombreux, ceux qui se revendiquent de son héritage marchant côte à côte avec les opposants de toujours qui malgré la discorde ont toujours estimé l’homme pour la force de ses convictions. Qu’il est étrange ce cortège funéraire pour celui qui se décrivait lui même comme un « oiseau rare, isolé et sans relations ». Peut-être faisait-il référence, aussi, à l’albatros Baudelairien qui, les ailes trop grandes pour marcher sur terre, ne peut comprendre les affaires des hommes. Il est important pour toute une génération qui ne le connaît que trop peu de retracer le parcours de ce militant de toujours. é Un engagement précoce La lutte, le petit Michel a dû l’apprendre très tôt dans la maison bourgeoise qui l’a vu grandir à Courbevoie. Yves, son père, résistant, professeur et chercheur veut que son fils épouse comme lui une carrière scientifique. Il n’en sera rien, ce qu’il aime lui c’est la politique, les combats idéologiques sans fin. Déjà ses camarades scouts l’ont bien compris et le surnomment, un brin moqueur, « le hamster érudit », hamster car il est menu et la forme de son nez rappelle celui de l’animal malicieux, érudit bien sur car il passe le plus clair de son temps à lire. Il aime parler aussi, si bien que l’on pourrait croire qu’il lit un livre quand il parle. Mais son père n’aime pas ça et après avoir décroché un bac avec une mention assez bien grâce aux matières littéraires, il décide de l’inscrire en maths-sup contre son gré. Comprenant qu’il n’avait aucun don scientifique il décide de s’inscrire à sciences Po, la déception chez son père qui le voyait polytechnicien est énorme, il lui coupe les vivre puis lui trouve un petit boulot de tourneur fraiseur dans une usine de Courbevoie. C’est là au côté d’un contre-maître qu’il est initié au socialisme, le vieux briscard rouge devient un temps son « mentor » et lui compte l’histoire du mouvement socialiste. Plus jamais cette idéologie ne le quittera. Il adhère rapidement au SFIO mais très vite l’étudiant qui est désormais à l’ENA est jugulé par la position du parti vis à vis de la question Algérienne et notamment par le comportement de Mendes France. C’est ce traumatisme qui le mènera à la création du PSA (parti socialiste autonome), puis du PSU plus tard. Haut fonctionnaire, il adoptera même le pseudonyme de Michel Servet –protestant mort pour la liberté- et démontera la politique française en Algérie, notamment les camps d’internement dans des rapports au vitriol. L’audace, encore et toujours l’audace le pousse, dès 1969, à se lancer dans la course à la présidentielle. Alors illustre inconnu il devient très vite le candidat à la mode, brille dans les milieux intellectuels, son courage plaît au peuple et le renouveau qu'il incarne séduit la jeunesse de Mai 68. A mi-chemin entre la sociale-démocratie et l’idéologie marxiste, il propose une offre politique jusqu’alors inexistante. Bien que déçu de son résultat –il obtient tout de même des scores similaires à ceux de la gauche traditionnelle de Mendes et Defferre- il est désormais devenu une figure incontournable du paysage politique français. Un destin qui s’acharne Une seule personne les sépare à la tribune en ce jour de Mai 1974 au congrès du parti socialiste, mais le regard noir de Mitterrand laisse apparaître la tension qui règne entre les deux hommes. Mitterrand n’aime pas l’attitude du haut fonctionnaire et le fait savoir. Il le juge sévèrement et le méprise profondément cet inspecteur des finances qui représente au fond tout ce qu’il déteste. Fin politique, il sait le danger que représente Rocard et l’engouement qu’il a su crée autour de lui mais il dispose d’une arme redoutable : le PS. C’est en 81, que le destin va une première fois abandonner Rocard, où plutôt c’est Rocard qui va abandonner son propre destin. Alors que tout le monde s’attend à ce qu’il annonce sa candidature face à un Mitterrand -conspué, jugé hautin et dépassé- il affirme qu’il ne se présentera que si Mitterrand lui ne le fait pas. Mitterrand n’en avait pas demandé autant, il se présente et contre toutes attentes est élu en 81, ce sera alors une traversée du désert pour Rocard écarté par le nouveau monarque. Peu importe, il continue à s’interroger à réfléchir, à représenter une véritable force de proposition. Réélu, Mitterrand sait qu’il devra le nommer et décide que Matignon sera son purgatoire. Le Machiavel élyséen espère en réalité l’éliminer et affirme en privé que « dans six mois, on verra à travers. » c’était mal connaître Rocard, une éternité qu’il attendait ce moment dans l’antichambre du pouvoir. Accompagné d’une équipe de choc, il enchaine les réformes les plus difficiles avec un certain brio : RMI, CSG… Il résiste 3 ans et jouit d’une popularité qui ne semble s’essouffler, s’en est trop pour Mitterrand qui le congédie brutalement et sans raison: après tout c’est lui le roi. Il jouera ensuite de manigances, allant jusqu’à soutenir Chirac en sous-marin faisant voler en éclat tous les espoirs présidentiels de Rocard en 95. Une idéologie en héritage
Si tant d’hommes et de femmes de conviction se revendiquent du « rocardisme », ce n’est pas un hasard. Un peu comme le patriarche d’une école philosophique, Rocard a formé autour de lui de nombreux émissaires –à l’image de Manuel Valls- qui aujourd’hui encore dispensent "une façon de faire de la politique". Mais c’est en 1977 à Nantes que l'on trouve l'acte fondateur de cette idéologie: il va alors énoncer un discours dans lequel il affirme qu’en France il existe deux gauches. L’une, longtemps dominante est jacobine, étatique et héritière d’une idéologie marxisante. L’autre est décentralisatrice, régionaliste, elle refuse l’arbitraire des patrons autant que de l’Etat, elle réclame l’autonomie et l’autogestion. Elle refuse aussi l’utopie que promettent les dirigeants du PS, connaît la réalité économique et c’est que c’est à la politique de s’adapter au réel et non le contraire, Ce jour là tout est clair, Michel Rocard est le chef de file de cette deuxième gauche. Mais le Rocardisme c’est aussi une manière de faire de la politique. Pour Rocard, la politique c’était « les idées » alors que la politique, pour Français Mitterrand, c’était «les hommes». Cette distinction a été notamment reprise par Jean Lacouture dans sa longue biographie de Mitterrand où il souligne combien les « Rocardiens » avaient la prétention d’être d’abord des « intellectuels ». Un paradoxe quand beaucoup affirment qu’« un homme politique est un intellectuel qui ne pense pas», selon la formule célèbre du grand théoricien américain Harold Rosenberg. On peut, comme moi, ne pas être dans le camp politique de Michel Rocard mais nous ne pouvons que saluer la façon dont il a changé la manière de faire de la politique. Peut-être seulement, était-il en avance sur son temps et avait-il affirmé trop top l’importance du principe de réalité. Une chose est certaine, aujourd’hui les français ne veulent plus des mensonges qui ont été servis à la pelle par la gauche au grand dam de Rocard et comprennent que les idées, les vrais, ne sont pas aussi attrayantes que les discours populistes . Et bien que leurs idéologies soient différentes, la méthodologie Rocard se rapproche en ce sens de celle de Juppé: ce n’est pas un hasard d’ailleurs si les deux hommes ont écrit un livre ensemble. Rédouane Ramdani
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Juin 2017
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