« Après le triomphe de Trump, l’élection française est déterminante pour l’Europe et même l’ordre mondial. » Au lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, l’Objectif a eu la chance d’être reçu par Dominique Moïsi dans son bureau de l’Institut Montaigne. L’éminent géopolitologue a partagé sa vision du « monde d’après », en insistant sur l’importance des élections française pour l’Europe et le monde. On constate déjà une normalisation du discours de Donald Trump sur plusieurs points. Ne croyez-vous pas qu’en politique étrangère comme sur d’autres sujets il va devoir finir par adopter une posture républicaine plus traditionnelle ? C’est un vœu pieu. Beaucoup de gens s’expriment ainsi. Mais je pense que Donald Trump est un personnage complexe qui cultive l’ambiguïté, ses premières nominations le montrent. Il va nommer un modéré et, pour compenser, une personnalité qui ne l’est pas du tout. Il joue sur cette ambigüité. Ne pas être inquiet, c’est ne rien comprendre. L’élection de Donald Trump signe-t-elle la fin d’un ordre mondial fondé sur le modèle de la démocratie libérale, dont les Etats-Unis et l’Europe étaient les garants, au profit d’un ordre façonné par les puissances dites « révisionnistes » comme la Chine et la Russie ? Oui, il y a un risque que l’élection de Trump soit perçue par les historiens comme un phénomène d’accélération de l’Histoire. Le flambeau de l’Histoire était sans doute déjà en train de passer de l’Occident vers l’Orient, en ce sens c’est plutôt une confirmation qu’une rupture. L’Amérique, qui était la championne de la démocratie durant ces 70 dernières années, ne peut plus prétendre à ce rôle. Et l’Europe est divisée. Un article très intéressant du New-York Times voit dans Angela Merkel le dernier rempart de la démocratie libérale : le Royaume-Uni, disqualifié par le Brexit, ne peut plus jouer ce rôle et la France, à l’ombre de Marine Le Pen, n’inspire plus confiance. Une marche en avant dans la construction européenne peut-elle faire de l’Europe le porte-parole n°1 des valeurs occidentales ? L’élection de Donald Trump n’est-elle pas en ce sens une opportunité pour l’Europe de s’affirmer sur la scène internationale ? Oui, si l’Europe est à la hauteur de l’événement, ce qui est loin d’être le cas. Elle est divisée. Quand on voit la réaction ambiguë de l’Europe centrale, des Polonais, qui sont à la fois plutôt contents sur un plan politique et inquiets sur un plan géopolitique, on se dit qu’il n’y a pas d’unité face à cet évènement. Non, il est clair que le pays clef dans les mois à venir, c’est le nôtre. Après le triomphe de Trump, l’élection française est déterminante pour l’Europe et même pour l’ordre mondial. Il y a eu le Brexit, il y a eu Trump, si maintenant il y a Marine Le Pen c’est sans doute la fin de l’Europe. La question qui se pose est la suivante : quel est le candidat qui sera le meilleur rempart face à Marine Le Pen ? C’est le seul critère qui compte. Le grand gagnant de l’élection de Donald Trump n’est-il pas Vladimir Poutine, qu’on a accusé d’essayer de peser dans les élections américaines ? L’Amérique, du jour au lendemain, a vu son soft power diminuer considérablement. Elle ne peut plus s’abriter derrière la carte morale des valeurs. Elle ne peut plus donner des leçons de démocratie. Le hard power des Etats-Unis demeure immense, mais son soft power ne sera plus jamais le même. Quel sera l’impact de l’élection de Trump sur la situation au Moyen-Orient ? Donald Trump voudra d’abord traiter directement de la question avec Vladimir Poutine. En ce sens, c’est une excellente nouvelle pour le régime de Bachar Al Assad. En revanche, c’est une moins bonne nouvelle pour l’Iran si l’on en juge par les déclarations du candidat Trump. Une chose est certaine, Trump a fait de la destruction de l’Etat islamique la priorité de sa politique étrangère. On peut penser qu’il tiendra parole et donnera le coup de grâce. Pensez-vous qu’il va réviser en profondeur les relations des Etats-Unis avec l’Arabie Saoudite ? Je ne crois pas qu’il puisse dire à l’Iran qu’il revient sur l’accord sur le nucléaire et rompre avec l’Arabie Saoudite en même temps. Il va avoir besoin d’alliés dans la zone s’il veut mener à bien son projet d’éradication de l’Etat islamique. Comment va-t-il se comporter à l’égard de l’Asie ? Il a promis une guerre économique à la Chine mais ne va-t-il pas être encore une fois obliger de composer tant les intérêts économiques en jeu sont importants ? Vous l’avez dit, les intérêts économiques sont tellement énormes qu’il va devoir mettre de l’eau dans son vin. Pour les Etats-Unis, le protectionnisme dans cette zone serait absurde : on ne peut pas essayer de compenser l’influence chinoise en Asie, soutenir la Corée et le Japon, tout en se repliant derrière des barrières commerciales et en offrant l’exemple d’un pays refermé sur lui-même. Le moins qu’on puisse dire c’est que le candidat Trump n’a jamais eu de mots tendres pour la France. Comment dans ces conditions aborder les relations avec les Etats-Unis pour le prochain président français ? De manière pragmatique. Il est absurde de dire qu’on ne va pas serrer la main au président élu par le peuple américain, le leader du pays le plus puissant du monde, un allié historique. Cependant, il ne faut pas céder sur nos valeurs et savoir dire non : voilà ce en quoi je crois. Comment voyez-vous l’avenir de l’OTAN ? La question est simple : l’Europe a-t-elle aujourd’hui les moyens de s’y substituer ? Mais je dois avouer que si j’étais Letton, Estonien ou Polonais, je ne serais pas très rassuré… Se dirige-t-on vers une ère de protectionnisme économique généralisé ? C’est une tendance de fond. La montée des inégalités dans les pays développés a, on le voit, un véritable potentiel de déstabilisation, à la fois à l’intérieur des sociétés et entre les Etats. Ceci dit, peut-on vraiment détricoter la mondialisation ? Je ne le crois pas. Propos recueillis par Clément Tonon
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Mai 2017
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