La mode va souvent de pair avec le concept de rapidité. Après des années de croissance insouciante, l’industrie de la mode a connu ses derniers temps quelques ralentissements avec une croissance deux fois plus faible en 2015. La situation n’est toutefois pas dramatique malgré un sentiment global de nervosité. Les plus optimistes appellent cela - à tort ou à raison - un changement de temps, d’époque, parlent de mutation et de challenges. D’ailleurs, comment en sommes-nous arrivés ici ? La mondialisation tout d’abord, qui a presque rendu désuet et superficielle l’opposition entre mode d’été et mode d’hiver. Depuis quelques années, on en vient à chercher des vestes d’hiver en juin et des maillots de bain en décembre. Cette disparition des frontières temporelles d’achat va également de pair avec une perte de frontière entre mode pour homme et mode pour femme. Ou du moins, pas nécessairement avec des frontières plus floues mais l’avènement d’un véritable style androgyne qui sied parfaitement aux hommes comme aux femmes, phénomène ayant commencé dans les années 1970 avec des stars de la pop au style androgyne tels que David Bowie et s’est développé dans les années 1990 avec la commercialisation de parfums unisex. Mais beaucoup plus récemment, des bouleversements dans le milieu de la mode sont à noter, depuis cinq, dix ans. Quelque chose est en train de se produire, mais quoi précisément ? Le premier phénomène à prendre en compte est la la démocratisation de la mode. Les runway ont été inventés à l’époque pour que les journalistes, acheteurs et experts aient un aperçu des collections à venir. Qu’en est-il aujourd’hui ? Ce sont devenus des événement mondiaux auquel énormément de gens participent notamment grâce aux bloggueurs et bloggueuses de mode et aux réseaux sociaux (Instagram et Snapchat) qui partagent les défilés en livestream. L’idée de rapidité évoquée en début d’article va aujourd’hui de pair avec le numérique. La numérisation joue un rôle extrêmement important dans la démocratisation de la mode. Aujourd’hui, dès que les photos des Fashion Shows sont en ligne, les entreprises de prêt-à-porter en copient le look et s’en inspirent. Un mois plus tard, des vêtements similaires se retrouvent dans les boutiques de chez Zara ou chez H&M. Récemment, on a pu voir des vestes d’inspiration Balmain, des bomber d’inspiration Valentino et des chaussures d’inspiration Phillip Plein chez Zara. Un mois ! Un petit mois contre six pour grandes marques, une différence colossale, presqu’absurde. Internet a tout modifié, de fond en comble si bien qu’il nous permet d’acheter en ligne grâce à nos smartphones et d’ainsi satisfaire ce qui apparaît comme un désir primaire et pulsionnel. D’ailleurs, à l’heure actuelle, les designers et les mannequins les plus connus et reconnus sont pour la plupart ceux et celles qui ont compris les enjeux et les opportunités qu’offrent le numérique notamment au travers d’applications mobiles. Avoir un profil Instagram adapté et un profil snapchat avec une story régulièrement mise à jour sont donc des must-have pour se faire connaître, presque le b.a-ba. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que les utilisateurs ne souhaitent plus voir seulement ce que produisent designers ou les models, mais aussi voir leur cadre de vie, s’immiscer un peu dans leur quotidien, comprendre ce qu’est la vie d’idole de la mode. C’est tout naturellement par une stratégie d’omniprésence sur Instagram qu’Olivier Rousteing a modernisé l’image de Balmain, ou que les mannequins Victoria Secret sont encore plus connues. Le designer russe Gosha Rubchïnsky, incarnant la vibe post-soviétique est suivi par 210 000 personnes pour deux publications. Excès d’avarice ? Pas vraiment, Gosha supprime en fait ses publications à mesure qu’il en publie d’autre. Son image et sa communication sont ainsi parfaitement maîtrisées. A cet égard, il convient d’admettre que c’est un phénomène cumulatif : c’est parce que ces personnes sont initialement connues qu’on va les suivre, et c’est parce qu’on les suit qu’elles sont de plus en plus connues. La numérisation croissante de l’industrie de la mode se ressent aussi parmi les profils de personnes recrutées. Et qui la société Brioni a-t-elle engagé en mars dernier en tant que directeur artistique ? L’australien Justin O’Shea, qui n’a au cours de sa vie eu aucun lien direct avec la confection mais fut l’acheteur du site internet mytheresa.com, qu’il en a fait un acteur majeur du commerce en ligne. C’est ainsi sur ses compétences de vente en ligne et sa compréhension des contraintes ou opportunités qu’induit la numérisation qu’O’Shea fut recruté. Malheureusement pour lui, l’aventure a tournée court puisque le Groupe Kiering, propriétaire de Brioni, a annoncé son départ en octobre dernier. En plus de son manque d’expérience, le fait qu’il ait choisi les rockers de Metallica a sans doute déplu aux fidèles clients du tailleur italien qui se retrouve en situation de surproduction, et donc à la direction. Ainsi, c’est un mariage de raison entre la mode et le numérique qui s’opère depuis plusieurs années. Un mariage avec ses avantages puisqu’il rend la mode accessible à tous, démocratise les collections, permet l’avènement de designers moins connus. Mais un mariage avec les anicroches qui vont avec : la courte aventure d’O’Shea chez Brioni nous montre que tout ne peut être rose sur toute la ligne.
Steven Bourgeois
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Juin 2017
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