Comme chaque matin, la brume est épaisse sur le vaste domaine de Chartwell House en ce jour d’automne de 1957. Churchill est fatigué, épuisé par ses années de cabinet, isolé par ce qu’il considère comme de l’ingratitude de la part des Britanniques, il exige qu’on lui amène son petit déjeuner au lit. Beaucoup de ceux qui ont travaillé avec lui savent que ces manières aristocratiques n’ont jamais vraiment quitté l’homme qui partageait pourtant la couche de ses soldats pendant le débarquement de Normandie. Comme chaque jour aux alentours de 11h il se dirige lentement vers son bureau qui donne directement sur ses jardins, son premier réflexe est d’allumer un cigare -cohiba- et de mettre de l’ordre dans ses papiers. Plus que de simples papiers, c’est une vision qui se trouve étalée devant lui, celle d’un homme toujours en avance sur son temps. Tout en continuant à fumer son cigare il déplie l’un de ses brouillons, une seule phrase y est écrite « les peuples qui oublient leur histoire sont condamnés à la revivre ». Il portait en lui le poids des guerres qui avaient touché à deux reprises l’Europe et savait combien le manque de perspective historique précipita le continent entier dans la folie guerrière.
Quiconque connait l’histoire Européenne sait combien le prix de la paix est élevé sur le vieux continent et combien les accomplissements faits depuis un demi-siècle sont importants. Sûrement Churchill pensait-il que son peuple chéri pouvait échapper à la règle, peuple qui pendant cinq ans a défié fièrement l’axe, se tenant debout comme un phare éclairant les ténèbres dans lesquelles le reste de l’Europe était plongé. Et pourtant, c’est aujourd’hui ce même peuple qui tombe dans le piège tendu par les populistes de tous bords : le rêve d’une nation totalement indépendante au cœur d’un monde globalisé. Il y a de réelles raisons pour un citoyen Européen, à fortiori Britannique, d’en vouloir à l’union Européenne telle qu’elle est actuellement, mais l’on peut douter que les électeurs du « out » savaient exactement ce contre quoi ils votaient. Deux éléments viennent appuyer cet à priori : tout d’abord les recherches Google qui suivirent le Brexit puisque la première demande enregistrée par le moteur de recherche fut « qu’est-ce que l’Union Européenne ? », une interrogation plutôt gênante au lendemain du vote… Ensuite une étude de la carte électorale tend à prouver que le vote en faveur du Brexit est plus fort dans les zones défavorisées là où les populations sont les moins éduquées. Dans les zones où les habitants sont les plus diplômés, au contraire, la majorité des électeurs sont conscients des bénéfices du « in » et savent que les concessions qui ont été faites par l’Union à la demande de David Cameron en Février dernier répondent largement aux préoccupations des Britanniques. Ces défenseurs du « in » sont aussi conscients des dangers que représentent les nationalismes toujours plus exaltés en cette période de crise (malgré la reprise économique en grande Bretagne) : ils savent bien que cette rhétorique n’a rien de nouveau et que dans l'histoire l’appel de la haine a toujours été plus fort que celui de l’entente des peuples. Mais plus que tout, ce résultat pose le problème de la représentation démocratique et de la viabilité de notre système politique. En effet, la démocratie doit-elle se penser comme une forme de consultation permanente ? C’est ce que semblent souhaiter les populistes de UKIP ou du front national et bien d’autres qui ont peu à peu remplacé les mots de « vertu » et de « bien » par celui de « peuple ». Pourtant, si le peuple peut avoir raison et c’est souvent le cas, il se peut aussi que « les masses soient gouvernées par les instincts » pour paraphraser Platon. Il est dommage d’atteindre le point Godwin si tôt dans le raisonnement mais c’est bien le peuple allemand qui a voté pour Hitler et le peuple français qui était largement en faveur du maintien de la peine de mort. La rancœur, la haine, l’impression d’avoir été laissé pour compte expliquent largement pourquoi aujourd’hui l’utilisation de référendums sur des sujets aussi complexes mène systématiquement à la défiance populaire. Une solution serait peut-être d’imposer un test préalable afin de savoir si les citoyens connaissent vraiment le sujet sur lequel ils s’apprêtent à voter. Mais c’est aussi la question de la démocratie représentative qui est en question, en outrepassant le parlement Britannique, David Cameron a fait le choix de favoriser la démocratie directe au dépend de la démocratie indirecte. Or n’est-ce pas le rôle des députés et des lords que de représenter le peuple Britannique, leurs électeurs, lors de votes complexes ? Sur ce point, la séparation des pro et antis-Brexit est édifiante, 70% des parlementaires y sont opposés quand seulement 20% y sont favorables, les 10% restants étant indécis. Enfin l’autre mouvement qui se dessine en Grande Bretagne comme partout en Europe c’est l’opposition de deux franges de la population : d’un côté celle des villes, intégrée dans la mondialisation, souvent qualifiée et de l’autre celle des campagnes et des anciens sites industriels qui subit la crise de plein fouet et qui n'a souvent plus grand chose à la fin du mois. Deux catégories de citoyens qui ne se parlent plus depuis fort longtemps mais qui aujourd’hui ne se comprennent plus. La faute à la défiance toujours plus grande des populations laissées pour compte envers l’autorité et au mépris des classes sociales dominantes. La faute aussi à un ascenseur social en panne qui ne permet plus de faire le pont entre ces deux grandes-Bretagnes. Les populations les plus fragiles qui représentent la majorité des foyers ne supportent plus d’être représentées par des technocrates, souvent issus de grandes familles bourgeoises et qui se déguisent « pour faire peuple ». En témoigne le ridicule des parkas rouges de certains hauts fonctionnaires, professionnels de la politique, qui croient en se parant ainsi entendre la colère qui grogne dans le ventre des citoyens du haut de leur tour d’ivoire. Hannibal.
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L’Europe fait aujourd’hui face à une crise sans précèdent, crise qui s’explique en partie par le manque de leadership de nos dirigeants. Leurs erreurs couplées avec une situation socio-économique dramatique ont largement handicapé le vieux continent sur la scène mondiale. Alors que nos politiques, chefs d’entreprises et autres sont à la recherche d’un nouveau modèle qui pourrait permettre à l’Europe de se relever, nous avons la fâcheuse tendance de vouloir à tout prix trouver celui-ci à l’étranger. On utilise alors souvent l’exemple de la Silicon Valey qui serait la panacée à tous nos problèmes et notamment à notre système éducatif sclérosé qui ne permet plus l’ascension sociale. Il est évident que la révolution technologique de ces dernières années a complètement changé le visage de notre économie, crée des emplois et donné un nouveau souffle à la recherche. Cependant c’est encore un modèle balbutiant dont on ne peut connaître précisément les conséquences sur le très long terme. Pourtant, l’environnement complexe dans lequel nous vivons demande une vision sur un horizon très long, vouloir copier ce qui marche dans l’immédiat à l’étranger est une illusion. Et pourtant, lors de récents voyages, j’ai eu la chance de rencontrer un certain nombre de chercheurs, de managers et de leaders qui, les uns après les autres m’affirmaient que c’est dans la période de la renaissance qu’ils puisent leur inspiration. Cette période qui s’étend du 14ème au 17ème siècle est connue pour avoir fait le pont entre le moyen-âge et l’époque moderne. Bien qu’ayant commencé comme un mouvement culturel aux alentours de Florence, le mouvement de la renaissance s’est ensuite largement propagé au reste de l’Europe. C’est ainsi que dans un essai récent qui comparait le modèle de la renaissance florentine à celui de la Silicon Valley, Eric Weiner concluait que « le mouvement de la renaissance nous offre un des leçons d’innovation qui font autant sens aujourd’hui qu’il y a 500 ans ». Un ensemble d’éléments qui tendent à prouver que les leçons de la renaissance peuvent encore être appliquées aujourd’hui. Car en plus des innovations économiques, la renaissance florentine s’est accompagnée de retombées positives pour toute la population. En révolutionnant des industries entières, en en créant de nouvelles, elle a largement amélioré le quotidien des travailleurs encore peu nombreux à l’époque. La beauté esthétique révélée par Raphaël, les innovations fantastiques de Léonard de Vinci, les stratégies politiques imaginées par Machiavel, les réformes législatives et celles liées à l’éducation ne sont que les exemples les plus connus d’une révolution beaucoup plus large qui changea à jamais le visage de l’Europe. Malgré les différences évidentes entre cette période et la notre, je suis persuadé qu’une réflexion collective sur ce moment clé de l’histoire pourrait avoir des retombées positives pour le continent. Mais comment appliquer les facteurs qui ont fait le succès de la renaissance à notre époque ? Comme je le dis souvent à mes amis et collègues, la renaissance n’est rien d’autre que l’application du beau, du bon et de la « santé » à tous les aspects de notre existence : de l’art en passant par la culture, la science, la politique, la technologie et l’économie. Il faut ici entendre le bon comme la manière dont nous agissons avec les autres mais également la manière dont nous fabriquons les biens. Le beau est lui défini comme ceci dans l’encyclopédie de Treccani « quelque chose que nous aimons non seulement pour ses qualités esthétiques liées à la proportion et à l’harmonie mais aussi pour ses qualités morales ». La santé est une qualité morale : l’intégrité, l’honnêteté, le respect et toutes les autres vertus qui contribuent au bien-être général et au vivre ensemble. Telle est ma vision de la renaissance Florentine. Une époque où hommes et femmes étaient capables de réunir la beauté, le bon et la santé dans tout ce qu’ils dessinaient, créaient et construisaient. Si l’Italie d’aujourd’hui ne semble pas prête pour une nouvelle renaissance ou pour une greffe de type « Silicon Valley », elle devrait se remémorer les valeurs qui forgèrent sa grandeur à l’époque.
Lorsque je sillonne mon pays, ce n’est pas un manque de talent, d’énergie ou de passion que je vois autour de moi, bien au contraire. Le beau, le bon et la santé sont écrits dans notre ADN, ces valeurs font partie de nos racines. C’est aujourd’hui notre responsabilité que de les appliquer pour revitaliser le pays et pousser le reste de l’Europe à faire de même. Lapo Elkann Traduction de What lessons on leadership can we learn from the Renaissance?: world economic forum |
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Janvier 2017
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