L’Etat veut imposer aux candidats chauffeurs un examen lunaire. Un signe parmi d’autres d’une sévère reprise en main de l’économie collaborative. Comme si l’on voulait faire entrer le génie d’internet dans la bouteille « Historiquement, l'ère victorienne désigne :
-Une période de conquête de la France en Grande-Bretagne (réponse A) -Une période de victoires militaires de la Grande Bretagne en Europe (B) -L'époque du règne de la reine Victoria au Royaume-Uni (C) -L'époque du règne de Victor-Emmanuel au Royaume-Uni (D) » Vous avez noté l'ambiguité de la réponse B, et le piège insidieux de la réponse D ? Alors, continuons. « Comment traduit-on : avez-vous des bagages ? -Do you have any luggage ? -Have you got some luggage ? » Si la réponse n'est pas trop difficile, elle implique, admettons-le, une certaine pratique de l'anglais. Hélas, ce questionnaire n'est destiné ni à des bacheliers ni à des étudiants en langues, mais à votre futur chauffeur VTC. Le gouvernement estime en effet que la connaissance de l'ère victorienne ou des subtilités pronominales de la langue anglaise est indispensable pour suivre un trajet GPS. Et la proposition de loi en cours de discussion au Sénat va rendre ces procédures encore plus strictes, avec des examens renforcés et en nombre limité. Le législateur s'apprête ainsi à réintroduire de manière pernicieuse le système honni des licences, en limitant artificiellement l'accès à la profession de chauffeur. Au lieu de laisser le marché faire le tri ex-post via le système de notation (où les clients peuvent exprimer librement toute leur indignation si le chauffeur ne connaît pas la différence entre any et some), on réintroduit des barrières à l'entrée. Il se recréera donc inévitablement un marché noir de la licence, tandis que les jeunes peu qualifiés qui, comme l'ont montré Augustin Landier et David Thesmar dans leur étude sur Uber, fournissent le gros du contingent des VTC, pourront retourner demander des formations à Pôle Emploi. Le cas des VTC, pour emblématique qu'il soit, n'est pas isolé. L'actuel projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit des seuils de « professionnalisation » qui ramèneront l'économie collaborative dans le droit commun commercial (23,000 euros par an pour la location d'appartements ; 3,800 euros pour celle de voitures). Quant au projet de loi de finances, il pourrait introduire une « taxe Youtube », que je rebaptiserais « taxe Dailymotion » pour toucher les petits coeurs sensibles des patriotes économiques. La taxe Dailymotion a pour vocation de rétablir des conditions de concurrence loyales avec les... vidéoclubs, qui paraît-il existent toujours. Mieux encore, les sommes perçues seraient reversées au CNC, machine à détruire la créativité artistique : on taxe donc ce qui marche afin de financer ce qui rate. Bien entendu, pour éviter de décourager l'électorat sympathique des colocataires et des youtubeurs, le législateur s'empresse déjà d'introduire exceptions, niches et abattements. Bienvenue dans la bureaucratie 2.0. Toutes ces mesures vont dans le même sens : faute d'oser inventer de nouveaux modèles sociaux et fiscaux adaptés à l'économie digitale, la France s'efforce de faire rentrer le génie de l'internet dans ses vieilles bouteilles. D'un côté, l'Etat schizophrène réprime les innovateurs avec toute sa puissance réglementaire. De l'autre, il se flatte de promouvoir l'innovation, en dépensant des millions dans les colifichets de la FrenchTech. On a même appris récemment que, dans le cadre du troisième volet du Programme des Investissements d'Avenir, plus de 4 milliards d'euros d'argent public seront investis dans « l'innovation des entreprises », sous la houlette de... Jean-Pierre Raffarin et Jean-Paul Huchon. Merveilleux signal de dynamisme entrepreneurial. Dans un récent essai, L'innovation sauvera le monde, Nicolas Bouzou conclut que « nous avons la phobie des solutions mais ne voyons pas venir le vrai risque, celui d'une société déchirée entre les anciens et les modernes. » Pour être exact, l'Etat a la phobie des solutions qu'il n'a pas trouvées lui-même, comme si rendre un service au public par des moyens privés était une offense à l'idée même du service public. Je propose donc que les parlementaires soient soumis, comme les chauffeurs VTC qu'ils torturent, à des tests de connaissances économiques. On pourrait inscrire dans leur curriculum les cours de Philippe Aghion au collège de France sur l'économie de l'innovation. Ils pourraient ainsi répondre facilement à la question suivante : « Qui a dit : l'innovation est à l'origine d'une croissance de long terme ? -Nicolas Rousselet (réponse A) -Joseph Schumpeter (B) -Joseph Staline (C) » Gaspard Koenig Dans les Echos
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Janvier 2017
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