Des coupons par ci, des réductions par là, les start-ups B2C se battent à coup de promotions pour attirer de précieux consommateurs qui leur permettront de présenter aux investisseurs des courbes de croissance visant les étoiles. Certains pensent pouvoir répliquer la stratégie de croissance folle de Dropbox, d’autres cherchent à faire mieux que le concurrent en tirant les prix à la baisse pour le bonheur de beaucoup d’entre nous. En software, on dirait que j’ai utilisé des ressources en open source, en B2C on appelle cela une stratégie de bouche à oreille (sponsorisée). L’un est gratuit, l’autre l’était. Un peu de contexte Je vais vous conter ma folle semaine à la recherche de bonnes affaires. En voici les grandes lignes. Mon objectif est de vous partager à la fois les merveilles de services qui se développent près de chez vous, de souligner leurs mérites et bienfaits, mais également de m’interroger sur l’intérêt de leur stratégie d’acquisition client. Comme un lundi ! La semaine commence par mon habituel trajet pour assister à un cours de marketing stratégique. Afin d’amortir mes frais, je trouve des compagnons de voyage sur Karos. Retour à Paris, il est temps de déjeuner. Pressé, j’ai tout juste eu le temps de commander sur Frichti (13 millions d’euros levés en T1 2016). Le cheesecake est toujours aussi bon! C’est tellement aisé de commander et se faire livrer des plats frais. Mardi, on est de sortie Mardi soir, je suis chez The Family pour m’abreuver des paroles du grand gourou en matière de Growth Hacking, Sean Ellis. Le sujet est tendance, les enseignements précis. On peut aimer ou pas l’état d’esprit de The Family, mais on ne peut pas leur enlever leur apport à l’écosystème start-up français (pour en connaître les moindres recoins, je vous invite à lire cet article de Bartosz Jakubowski, que je remercie pour ses conseils). A ma sortie, il est temps de diner, je sors mon téléphone et commande sur Foodora! J’arrive tout juste chez moi que le livreur est déjà présent. Parfait timing ! A ce point on peut s’interroger sur la volonté de Deliveroo de supprimer les codes de parrainage. Trois solutions envisageables: 1/ refroidi par l’épisode Take Eat Easy, ils ralentissent leur stratégie d’acquisition à tous frais pour accroître une maîtrise de leurs coûts. 2/ ils ont trouvé un autre moyen plus rentable pour acquérir de nouveaux utilisateurs. D’où l’importance du tracking, du calcul de son CAC (customer acquisition cost, coût théorique du marketing et de la vente afin d’acquérir un nouvel utilisateur), de sa LTV (lifetime value, revenue généré par un client entre son premier et dernier achat). (si vous êtes à la recherche d’infos plus ou moins techniques à ce sujet, voici le plus et le moins) 3/ Ils ont décidé de se focaliser sur la rétention et le service apporté aux clients actuels. Ainsi, ils étudient en profondeur le comportement des cohortes, cherchent constamment à quel moment leurs utilisateurs arrêtent d’utiliser le service afin d’améliorer la rétention à ce moment précis. Tout playbook de Growth Hacking le rappelle, il faut commencer par se soucier de la rétention avant de se préoccuper de son acquisition. Mercredi, on peut déjà penser à Noël Peut-être que, comme moi, vous galérez à trouver de bonnes idées de cadeaux pour vos proches. Essayez Bisly qui recense beaucoup de produits de start-ups hardware afin de vous proposer un large choix de cadeaux originaux. J’ai ainsi pu commencer mes courses de Noël grâce à un lien de parrainage me faisant gagner 10€. Vendredi, it’s show time On passe directement au vendredi. Partant en week-end, je ne veux pas rater mon train et heureusement j’ai déjà économisé pas mal cette semaine, je décide donc de commander en avance un Marcel (sorte d’Uber ou Chauffeur Privé qui plus on réserve tôt moins le prix est élevé). Il y a donc un autre acteur sur le marché des VTC parisiens… Envie de vivre non pas une semaine comme cela mais un mois ? Il existe d’autres start-ups, que vous soyez à la recherche de vos caleçons ou autres sous-vêtements, vos rasoirs, votre maquillage… Mais que diable allaient-ils faire dans cette galère ? Parlons sérieusement. Cette stratégie d’acquisition a un coût non négligeable. En utilisant un code de parrainage Frichti, vous gagnez 5€ et votre ami reçoit également 5€ en bon d’achat. Votre coût d’acquisition s’élève donc à 10€. Or un menu moyen va coûter 14€ avec la livraison. Sur ces 14€ il faut retirer la commission du livreur, les coûts liés à la plateforme (notamment lié au paiement), et les coûts de production unitaires. Ainsi, on peut aisément conclure que Frichti perd de l’argent sur votre première commande. (et on ne parle pas encore des autres frais de l’entreprise, salaires, locaux, taxes…). Même problématique pour PopChef qui vient d’annoncer une levée de 2 millions. L’entreprise espère acquérir un utilisateur fidèle, revenant alors régulièrement pour un coût nul. Ainsi elle espère rembourser votre acquisition lors de la troisième (voire quatrième) réservation. On peut logiquement se poser la question suivante, ce modèle de croissance est-il sain ? Les start-ups se permettent de telles stratégies car elles sont soutenues par des Venture Capitalists ayant investi plusieurs millions (je trouve le travail des VCs exceptionnel, tout particulièrement dans l’écosystème français où les différents acteurs attendent trop et trop vite d’eux, mais ce sera l’objet d’un futur article). A contrario, on peut évoquer Menu Next Door (2 millions de dollars levés T1 2016), qui est parti d’un simple groupe Facebook à Bruxelles. Aujourd’hui, leur stratégie d’acquisition passe toujours par Facebook et l’utilisation des communautés personnelles de chacun des cuisiniers. Aucun parrainage à ce que je sache. C’est de mon point de vue, une croissance plus saine. Deux étapes trop vite oubliées La croissance par parrainage sponsorisé représente un leurre qui masque souvent deux étapes trop vite brûlées par les jeunes entreprises (un immense merci à Maxence Drummond pour m’avoir aidé à mettre les mots sur mon ressenti) : 1/ Le Product Market Fit (PMF). Sean Ellis le rappelait mardi : avant de penser à toute stratégie d’acquisition, il faut travailler son market fit avec ses utilisateurs les plus fidèles afin de proposer un produit qui satisfait parfaitement les désirs de son marché initial. Je vous renvoie à cet article très précis de Marc Andreessen, qui date déjà de 2007… Or beaucoup de ces entreprises n’ont pas encore atteint ce PMF et se lancent dans des stratégies d’acquisition à marche forcée. Le but ? Grandir pour répondre aux attentes d’hyper croissance des investisseurs. Elles repoussent le moment où elles auront véritablement atteint le PMF et grandissent sous perfusion. On est dans une logique pas si lointaine de celle des plans quinquennaux sous l’Union Soviétique sauf que désormais on pense avec des horizons de 18 mois. Je suis volontairement caricatural. A force de trop en faire sur le fait que nombre de nos entrepreneurs sont des génies de l’exécution, on surestime sûrement les capacités de croissance de ces entreprises. J’entendais récemment Mathieu Jacob, cofondateur de Heetch, dire à propos de la croissance exponentielle de son entreprise que tout part d’un taux de croissance hebdomadaire de 10%. Ainsi, si on part de 10 utilisateurs, la semaine qui suit il y en aura 11, et petit à petit le service progresse. La courbe sera relativement flat au début, l’essentiel n’étant pas d’augmenter le taux de croissance mais de le conserver tout en augmentant le repeat de ses utilisateurs actifs (cf mon 3ème point sur Deliveroo). 2/ Les produits et plateformes ne sont pas prêts pour scaler (anglicisme décrivant la capacité d’une entreprise à grandir avec des coûts marginaux faibles). L’ensemble des entreprises que j’ai citées cherchent à être des modèles d’exécution commerciale : leur réussite passe par leur capacité à attirer toujours plus de clients. L’objectif est de grandir vite, gagner son marché, puis continuer de lever avec un acteur international sur la base de metrics de croissance folle. Cet acteur aura alors la puissance financière pour “retaper” la plateforme ou le produit afin de le rendre prêt pour envahir le marché mondial. D’une certaine façon c’est ce qui est arrivé à Save (15 millions levés au milieu 2015) si on se fie à l’article de Damien Morin. Incapable de bien prévoir les coûts de fonctionnement liés à la forte croissance, l’entreprise a été mise en redressement judiciaire.
Finalement, beaucoup de VCs français sont aux start-ups ce que l’Etat français est à Alstom : une bouée de survie jusqu’au moment où elles pourront proposer un produit adapté et prêt à inonder sans accrocs son marché. PS: j’allais publier mon article lorsque j’ai lu cet article de Nicolas Gueugnier sur les difficultés de Big Moustache. Au delà de tous points de vue que l’on peut avoir sur les méthodes à adopter pour acquérir de façon rentable ses utilisateurs ou pour scaler en toute tranquillité, il faut rappeler le mérite des entrepreneurs, leur force et leur humilité. Le B2C est casse gueule, il engendre de beaux succès comme Captain Train (vente à Trainline pour près de 200 millions d’euros au début d’année) ou BlaBlaCar mais également des difficultés pour Save ou Big Moustache. Promis, si un jour, je trouve la recette magique, je la partage! Achille Miklitarian article originellement publié sur Medium : https://medium.com/@AMikl_/jai-vecu-aux-crochets-des-startups-d2f39780f5ef#.9vyed4915
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Janvier 2017
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