La grossière propagande de Donald Trump sur les chiffres de participation à son inauguration est tombée à plat. Celle de Xi Jinping à Davos, à peine plus subtile, a visiblement mieux réussi. Pour avoir vanté le libre-échange et la mondialisation, le président chinois est célébré comme le nouveau garant de l'ordre mondial. Sa photo largement diffusée aux côtés d'un panda en glace irradie de bienveillance enfantine. Pour un peu, on en ferait le leader du monde libre, comme l'irrémissible Pierre Gattaz, patron du Medef, qui s'amuse à comparer la France « pays communiste » à la Chine « pays libéral ».
La réalité chinoise ne pourrait être plus différente. De retour au pays, la glace fond et le joli panda laisse place à la faucille et au marteau. La Chine traverse une des périodes les plus autoritaires de son histoire récente. Quelques jours après le discours de Davos, j'ai reçu via une messagerie sécurisée des messages alarmants d'un groupe d'amis, économistes et intellectuels libéraux à Pékin. Tous leurs sites Internet ont été fermés par le gouvernement. L'adresse sur laquelle je consultais leurs publications en anglais est désormais « introuvable ». Le ministère de la Propagande a interdit à l'ensemble des journaux nationaux de publier leurs articles. Leur messagerie WeChat (l'équivalent de WhatsApp) est sous contrôle ; leurs adresses e-mail ont été saisies. Certains ont été placés sous surveillance policière permanente. Voilà ce qu'il en coûte de mener des recherches indépendantes en Chine communiste. Leur cas n'est pas isolé. Le dernier rapport d'Amnesty International dénonce une vague de répression depuis deux ans. L'arrestation de la célèbre avocate Wang Yu et de sa famille en juillet 2015 a inauguré une série d'attaques contre les défenseurs des droits de l'homme, renouant avec la pratique des confessions publiques. Plusieurs professeurs d'université ont dû démissionner le mois dernier pour avoir osé émettre des critiques contre l'héritage de Mao Tsé-toung. Et pour ceux qui auraient encore des doutes sur les intentions du gouvernement, le plus haut magistrat du pays et président de la Cour suprême du peuple, Zhou Qiang, a dénoncé il y a quelques jours « le faux idéal occidental de l'indépendance judiciaire ». La défense des libertés n'est pas un simple passe-temps de droits-de-l'hommistes, ni l'autoritarisme politique un malheureux concours de circonstances intérieur qui pourrait s'accommoder du libre-échange commercial. Sans surprise, la restriction des droits individuels crée une situation impossible pour le développement d'une véritable économie de marché. Rappelons que la liberté de mouvement n'est pas assurée au sein même du territoire chinois (via le système des « hukous », qui détermine où les citoyens ont le droit de vivre et de travailler) ; que la propriété privée immobilière est largement virtuelle dans la mesure où l'Etat, possesseur de la terre, reste le bailleur de dernier ressort (si vous achetez un appartement à Pékin, vous ne faites donc que le louer au gouvernement pour une durée limitée) ; que l'économie repose sur la prévalence des entreprises publiques et des banques d'Etat ; et qu'on voit mal comment la Chine pourrait prendre le tournant de l'économie de la connaissance sans garantir la liberté d'expression. Le régime chinois ne pourra pas s'ouvrir au monde avant de s'ouvrir à ses propres citoyens. Ce n'est pas un hasard si 80 % des entreprises américaines en Chine se sentent, selon le dernier rapport de leur chambre de commerce, de moins en moins bienvenues. Voilà qui donne raison non pas à Francis Fukuyama, dont la « fin de l'histoire » participe d'une vision hégélienne et déterministe des relations internationales, mais à Friedrich Hayek, qui a montré de manière définitive les liens intrinsèques entre l'économie de marché et les libertés individuelles. Car le marché exprime et rend possible la diversité des choix de vie, autant que l'initiative individuelle annihile toute idée d'un plan d'ensemble - comme le système de notation des comportements individuels récemment imaginé par le gouvernement chinois. Si nous sommes en quête d'une nouvelle figure de proue, à présent que l'administration américaine est devenue nationaliste, inutile donc de chercher aussi loin. Regardons plus près de nous. L'Europe, malgré les secousses qui la traversent, n'est-elle pas le dernier bastion de l'Etat de droit et de la société ouverte ? Quel privilège, et quelle responsabilité ! Gaspard KoenigGaspard Koenig est philosophe et préside le think tank GénérationLibre.
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Janvier 2017
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