« La gauche, je dois le dire, n’est pas exempte de critiques particulières. (…) La gauche a cru que la France pouvait aller mieux en travaillant moins, c’était des fausses idées » par ses propos, Emmanuel Macron a choqué, et l’allusion à la mesure des 35 heures ne fait pas de doute. Le ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique a suscité de vives réactions à bien des égards. Les représentants du Parti Socialiste crient au scandale. Manuel Valls appelle à calmer le jeu, tout en martelant qu’il n’y aura pas de « remise en cause du temps légal de travail et des 35 heures ». M. Macron apparaîtrait presque comme un dissident, à l’heure où le marché du travail fait face à des blocages extrêmes, remettre en cause le totem socialiste que représente les 35h semble être légitime. Peut-on et doit-on réformer les 35h ? La réduction du temps de travail est une thématique ancienne. Les premières mesures datent de 1848 sous la revendication de la CGT qui fixe la limite maximale de travail quotidien à 12 heures. Nous sommes passés à 10 heures en 1900, puis à 8 heures en 1919, et c’est en juin 1936 sous le Front Populaire, en pleine crise économique, que l’on adopte la durée de travail légal à 40 heures par semaine par les Accords de Matignon. Mitterrand continue dans cette direction en 1982 un an après son élection et fait adopter les 39 heures par semaine. Le gouvernement Jospin a donc voulu maintenir ce cap, cet objectif si cher à la gauche française de réduction et a introduit les « 35 heures » en 2000 par deux lois votées en 1998 et en 2000. Les fameuses lois « Aubry ». L’objectif était simple : partager le temps de travail entre les salariés pour créer des emplois, et, de manière sous-jacente, optimiser l’organisation du travail. L’objectif ultime était donc d’accroître la productivité de l’économie française. Concrètement, le salarié pouvait continuer à travailler 39 heures par semaine, mais les heures supplémentaires effectuées (4/semaine) pouvaient être cumulées et faire office de demi-journées ou journées complètes de réduction du temps du travail, les fameux RTT. Il était alors possible de travailler 35 heures sans jour RTT tout comme il était possible de 39 heures par semaine avec une demi-journée de RTT par semaine ou encore 37,5 heures par semaine et 12 jours RTT par an. Au demeurant, cette réforme a donné plus de temps au travailleur, améliorant de fait sa condition de vie, réduisant ses dépenses de santé et accordant une plus grande importance à la famille. Une mesure qui a permis la création de 350 000 à 500 000 postes de 1998 à 2002 selon les études statistiques. Un résultat pour le moins convaincant pour l’époque, mais seulement en apparence. Le Parti Socialiste tablait sur la création de 700 000 postes à l’époque, et une étude de l’OCDE datant de 2003 expliquait que les progrès pour l’emploi à court terme ne faisaient pas de doute, mais qu’à plus long terme, cette mesure allait peser sur les finances publiques et altérer considérablement le potentiel économique de la France. Aujourd’hui, en 2015, la dette publique se creuse de jour en jour et la croissance est inexistante. Sans oublier un chômage préoccupant atteignant 10,5% de la population active. Comment expliquer que les 35h, dont on nous avait vanté les mérites au début des années 2000, n’eurent pas les effets durables escomptés et minent-elles même aujourd’hui la situation économique ? Tout d’abord, la compétitivité globale des entreprises s’en trouve altérée en raison de la hausse des coûts horaires de main d’œuvre. Une hausse de 11,4% due à la réduction du temps de travail sans diminution des salaires (ou du moins du coût des 4 heures supplémentaires), ces derniers étant rigides à la baisse. Plus encore, la modification de l’organisation des entreprises impliquait des coûts de réorganisation du management, et encore à l’heure actuelle, aucune étude n’est en mesure de déterminer si ces coûts furent supérieurs aux gains de productivité. Enfin, la réforme des 35 heures n’est peut-être pas étrangère à la hausse des dépôts de bilan des entreprises depuis une dizaine d’années… Cette réforme a-t-elle au moins eu le mérite de baisser le chômage ? Selon les travaux de Matthieu Chemin et Etienne Wasmer, elles n’ont pas eu d’effet significatif sur le chômage ni sur le court terme, ni sur le long terme comme ces auteurs l’expliquent en 2009 dans « Using Alsace-Moselle local laws to build a difference-in-differences estimation strategy of the employment effects of the 35-hour workweek regulation in France » dans le Journal of Labor Economics (résumé ici) . En raison de la hausse du chômage qui provient en partie des faillites d’entreprises ou des plans de restructuration, les 35h ont pu avoir l’effet inverse et ont détruit des emplois, du moins elles n’auraient pas favorisé la création d’emplois. C’est ce dont est convaincu Christian Gianella de l’OCDE en 2006, pour qui les destructions d’emploi furent plus nombreuses que les créations d’emplois « compte tenu notamment du coût du financement des allègements de charges et de la dynamique du SMIC horaire induite par l’instauration des garanties mensuelles minimales ». En d’autres termes, les salaires maintenus au même niveau pour un temps de travail moindre non compensé par une hausse de la productivité équivalente pèse sur la profitabilité des entreprises. Les emplois à terme n’ont pas pu être créés, certaines entreprises ont dû licencier, d’autres ont fait faillites. Aujourd’hui, le chômage persiste, et il serait peut-être temps de repenser cette réforme qui reste très controversée au gré des années. Nicolas Sarkozy avait fait de la critique de cette réforme l’un de ses fers de lance lors de la campagne présidentielle de 2007 avec son fameux slogan « Travailler plus pour gagner plus ». En début de campagne, Ségolène Royal était elle aussi sortie de sa réserve pour désapprouver cette réforme, avant de se faire rappeler à l’ordre par le PS. « Je ne veux pas mettre les 35 heures sur un piédestal », s’exclamait M. Macron déjà en novembre 2014 face à l’Assemblée Nationale. La mesure ne fait donc pas l’unanimité au sein du parti qui l’a conduite à son introduction. Martine Aubry, Claude Bartolone, Jean-Christophe Cambadélis … nombreux sont les dirigeants socialistes à être sortis de leurs gonds pour réprouver le récidiviste M. Macron, comme si l’allégeance aux 35h était obligatoire, impérieuse. Le ministre de l’Economie s’est d’ailleurs trouvé un allier au sein du PS en la personne de Gérard Collomb, figure de proue de l’aile droite du parti. Ce dernier a en effet tweeté : « si nous avons un chômage de masse, c’est à cause de la perte de compétitivité de notre économie » avant d’ajouter que « le Parti socialiste ne doit pas avoir une vision passéiste de la société : nous devons aller de l’avant ! ». Cela ne manque pas d’accentuer le schisme politique qui s’opère au sein du PS. Et les français, qu’en pensent-ils ? Selon la récente étude CSA, 71% des français seraient favorables à ce que les entreprises puissent « fixer librement le temps de travail, par accord avec leurs salariés ». En d’autres termes, ce n’est pas tant l’abolition pure et simple des 35h qui serait demandée mais plutôt une refonte totale du temps de travail de sorte qu’il y ait plus de flexibilité pour le fixer, ce qui aurait pour effet aussi de relancer de manière positive les négociations entre salariés et patrons dont nous avons une vision parfois trop manichéenne. Et pourtant, cette remise en cause des 35h s’exprime quelle que soit la couleur politique des sondés, notamment 69% des sympathisants socialistes et même 49% des sympathisants du Front de gauche. La division politique au sein des partis de gauche se fait de plus en plus forte. Déjà en 2007, Thomas Piketty, économiste pourtant proche de la gauche, vilipendait lui aussi les 35 heures dans ce bref pamphlet. Il dresse une analogie flagrante avec la réforme des 40 heures en 1936 introduite en pleine période de crise mondiale. Selon lui, la réduction du temps de travail ne peut être qu’efficace que si elle suit une période de vaste croissance et d’une hausse soutenue du pouvoir d’achat. Le contexte des années 2000, caractérisé par la stagnation salariale depuis les années 1980 et un ralentissement de la croissance n’était pas un environnement favorable à la mise en place des 35 heures selon Piketty. Depuis, les différents gouvernements ont tenté d’introduire des mesures dérogatoires aux 35h par divers mécanismes. Néanmoins, en raison d’un certains nombres de blocages (coût des heures supplémentaires majorées de 25%, nécessité de passer de complexes accords avec les syndicats…), ces tentatives de réforme n’ont jamais eu le succès attendu. Que pourrait-on faire ? L’idée pourrait être de jouer sur une flexibilisation du SMIC tout en assouplissant les 35 heures. Cela permettrait en effet aux salaires de s’indexer plus librement sur la productivité marginale des salariés et donc éviter les distorsions, mais comme évoqué précédemment, les salaires étant rigides à la baisse, cela impliquerait de vives tensions entre les syndicats et le patronat, et dans la crise actuelle, les français n’ont pas besoin d’une baisse de pouvoir d’achat supplémentaire. Bien au contraire, en étant favorable à une réforme des 35 heures, ils expriment sans doute leur envie de travailler plus longtemps pour augmenter durablement leur pouvoir d’achat. En bref, réformer les 35 heures semble être donc un projet compliqué, bien que l’économie française pourrait en tirer profit. Pour l’instant, le gouvernement s’y oppose en apparence, comme le rappelle François Hollande lors de la conférence de presse le 7 Septembre 2015 : « La durée légale de travail ne changera pas, c’est la durée légale de travail. Ensuite qu’il y ait des négociations sur l’application de cette durée légale, c’est déjà possible, beaucoup d’entreprises d’ailleurs s’y sont engagées ». Il se murmure toutefois que le Président Hollande et Manuel Valls veulent réformer la durée du travail… sans pour autant toucher au totem socialiste que représentent les 35 heures. Ils travailleraient en effet sur un assouplissement du temps du travail qui viderait les 35 heures de leur substance. Depuis le 1er Avril, Manuel Valls a confié à Jean-Denis Combrexelle, socialiste directeur du travail de 2001 à 2014, une mission qui a pour objectif d’ouvrir des perspectives nouvelles, mais avec un objectif inavoué de permettre aux entreprises de négocier sur une série de sujets en fonction de leurs besoins. Sans exiger la suppression des 35 heures, les entreprises ont besoin de pouvoir augmenter ou réduire le temps de travail plus rapidement et à moindre coût. Telle est la marche à suivre qu’indique le rapport remis au Premier Ministre ce Mercredi 9 septembre. Un rapport qui préconise avant tout une refonte du dialogue social, basée sur une nouvelle pédagogie et une volonté de compromis. La fin du mandat présidentiel approchant, il semblerait que le gouvernement ait désormais choisi la voix de la discrétion : ne rien annoncer et agir dans l’ombre. Du courage et de l’audace, c’est ce dont le gouvernement doit aujourd’hui faire preuve pour nous sortir de cette crise durable et nationale dans laquelle nous sommes plongés depuis près d’une décennie. Il semble évident que c’est par la prise de mesures impopulaires que cela se passera, en sortant des dogmes et des conservatismes, en sortant des acquis et des mesures prises au mauvais moment. Des mesures sur lesquelles le PS semble se reposer. Il faut donc avoir l’audace de modifier, en substance et en totalité, une réforme que l’ancien Président M. Sarkozy avait promis de changer durant sa campagne mais qui ne resta malheureusement qu’une promesse. Le temps presse, et avec 2017 en vue, M. Hollande n’a d’autres choix que d’agir s’il ne veut pas se faire éliminer dès le premier tour… Steven Bourgeois
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Juin 2017
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