Le stérile soulèvement Je ne traite personne d’hypocrite. La compassion de mes amis étrangers me touche, la solidarité de mes frères et sœurs français me rassure. Cependant, inconsolable je le demeure. Inconsolable, car cent-vingt et quelques âmes nous ont quittées hier soir en devenant les martyrs d’une cause qu’ils n’ont pas choisie.* Inconsolable, car je n’arrive pas à me défaire de l’éventualité que ces vies consommées ne soient, à présent, que les martyrs involontaires d’une cause que nous ne saurons pas ou mal défendre. Nous ne pourrons défendre leur cause, rendre hommage à leur âme, si la réflexion stagne. Elle ne pourra, comme actuellement, se limiter à la dénonciation des horreurs commises, au rappel d’un monde qui souffre partout ailleurs dans le silence des réseaux sociaux**, à la mise en garde contre les généralités et les discriminations. Ces points, en plus d’être les plus urgents, sont absolument vitaux - qu’on ne me méprenne pas. En particulier ce dernier - et je loue mes compatriotes qui, en pleine déflagration émotionnelle, prennent le temps et le soin de poser des nuances indispensables à la survie solidaire de notre société. Merci de citer des sourates du Coran. Merci de dissocier cette barbarie de certains concepts tels la Religion, les frontières, la couleur. Ces élans ne suffiront pas. Il faut dépasser le stade de pure détresse, bien qu’elle soit tout à fait acceptable et compréhensible. Le feu ne brûle que ce qu’il atteint, dit un proverbe turc. Oui, nous voilà atteints, brûlés à vif même. Cependant le soulèvement actuel ne peut et ne doit se perdre dans la même stérilité que celle qui a fait sombrer Charlie il y a quelques mois. Je ne tiens pas les réseaux sociaux comme responsables, mais plutôt l’utilisation que nous en faisons. Facebook est un merveilleux moyen d’expression démocratique, trop souvent perdu dans le verbiage de la surenchère du pathos et les phrases creuses, qui dépeignent un monde larmoyant et sans volonté. Je n’accuse pas la communauté Facebook de ne pas mener une lutte armée contre le fanatisme religieux - mais seulement de manquer cruellement de convictions. Facebook est un exutoire que l’on utilise compulsivement, parfois même vainement en essayant de rivaliser avec la grandeur d’âme et l’empathie de son prochain. Plus que stérile, ce verbiage est improductif. Il noie le véritable débat qui tente parfois laborieusement d’émerger. Arrêtons-nous. Prenons du recul. Cette parole qui nous a été offerte est plus précieuse que nous le pensons. Usons là avec parcimonie et responsabilité. L’impératif de l’action et l’urgence du débat L’enjeu est concret. Nous parlons d’un problème géopolitique complexe et une responsabilité sur laquelle nous avons longtemps fait semblant de buter. Est-ce vraiment à nous de … ? Oui. Maintenant la question ne se pose plus, il s’agit de notre patrie. L’impératif de l’action ne fait plus de doute. Les convictions existent. De quoi s’agissent-elles ? « De la défense de nos valeurs et la condamnation de la barbarie », clameront-ils tous en chœur. « De la défense de la vie ! » annonceront les plus optimistes. Le peuple français est galvanisé, soudé dans une communauté fraternelle. Les solutions et les engagements manquent. La volonté que ces idéaux alimentent se heurte à la réalité. Il en sera ainsi tant que cette volonté n’acceptera pas de revêtir l’habit politique, géopolitique ou même éthique. En souffrant, nous démontrons notre humanité. Faisons à présent de l’action et de la pensée engagée la démonstration de notre liberté. « On ne se défend qu’en créant » disait Malraux. Il nous faut faire renaître un véritable débat public, qui appelle à la contribution de tous. Cette contribution peut prendre deux formes : l’engagement intellectuel ou le silence. Par ce dernier j’entends la prise de recul, la désertion (temporaire peut-être) d’espaces d’expressions saturés. L’heure n’est plus à l’étalement déplacé des sentiments, mais plutôt au retrait et à la réflexion. Il faut vaincre la peur et l’angoisse que font naître en nous ces abominations. Puis, vient l’engagement (il me semble que, plutôt qu’unies par un lien de causalité, ces deux formes constituent une boucle qui s’autoalimente). Celui-ci ne se limite pas à la participation à une marche républicaine. Il s’agit plutôt d’affronter des vérités difficiles et d’envisager ensemble des solutions qui nécessiteront peut-être des sacrifices – et ce, à travers le débat public. Réfléchissons-y vraiment : quelle est la situation en Syrie et en Iraq ? Quel type d’interventionnisme peut encore faire sens au 21ème siècle ? Face à nos impératifs les plus pressants, quelles sont les coalitions à privilégier ? Comment garantir à un peuple la paix durable sans ingérence ? Peuple des Lumières que l’absolutisme n’a pu avilir, Peuple de Résistance que l’occupation étrangère n’a su soumettre, ne laisse pas la terreur dénigrer ta pensée et en faire la proie de tes peurs. Max Ernst, "L’Ange du foyer (Le triomphe du surréalisme)", 1937. Huile sur toileMais moi, à mon échelle, que puis-je faire ?
Je vous donne aisément des directives depuis mon clavier, et depuis maintenant un nombre insupportable de lignes. Pardonnez-moi. Je suis comme vous actuellement, en proie à la panique et la tristesse. Cet écrit n’est pas un pamphlet excédé mais une profession de foi, qui n’engage que moi mais j’espère en motiveront d’autres. Je promets de ne pas laisser mon militantisme dans mes derniers mouchoirs et de le limiter à la difficile tâche – trois clics exactement – d’une démonstration de solidarité sur Facebook. Je promets de réfléchir, dialoguer avec ceux qui le voudront et de continuer à chercher un sens à notre action. Je promets de faire mon possible pour montrer à mon gouvernement que le courage citoyen peut et va appuyer le courage politique, qui doit à son tour transgresser les querelles partisantes et les échéances électorales. Je fais cela dans l’espoir que l’action gouvernementale s’affranchisse un jour de l’approbation populaire. Dans l’espoir également que celle-ci se décide ailleurs que dans un climat anxiogène et autrement qu’en réponse au soulèvement émotionnel de sa population (ce dont témoigne hélas la terrible crise des migrants). Face à ces heures sombres, la politique et la démocratie telles que les ont conçues les Anciens, peuvent renaître. Je vous supplie, critiquez-moi ou louez-moi. Fâchons-nous ou accordons-nous. Peu m’importe, tant que naisse le débat. Salomé Heiob *La mort ne se choisit pas, la cause oui. Or, afin de défendre cette cause, on peut s’exposer consciencieusement à la mort. Je ne fais pas ici allusion à la lâcheté du terroriste qui ne choisit pas la cause, mais la mort elle-même. Choisir la cause, c’est choisir la vie qui est lutte quand la mort est abdication. Il s’agit là de la voie des hommes dignes, prêts à risquer leur vie pour défendre les idées-mêmes dont elle tire tout son sens. **Je condamne néanmoins ces petits malins qui jugent bon de critiquer ceux que cette tragédie fait souffrir. Ceux qui les traitent d’hypocrites en brandissant d’effroyables statistiques sur divers taux de mortalité à travers le monde. Si ces causes vous tiennent tant à cœur, pourquoi attendre un jour de deuil national, européen, et même mondial pour vous exprimer ? En plus de choquer et de révolter, vous vous décrédibiliser tant que vous finissez par desservir les mille causes dont vous vous êtes proclamés les hérauts précaires.
4 Commentaires
Buisson
11/16/2015 12:48:44 am
Bonjour,
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Salomé
11/18/2015 08:49:14 am
Bonjour,
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Béa
11/21/2015 07:16:52 am
Je suis entierement avec toi, Salomé et avec d'autres centaines de milliers de personnes qui s'expriment a l'unisson, touchées, conscientes, responsables, concernées et engagées:
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Tonton
11/21/2015 02:26:40 pm
ca fait mal mais ne sous-estime jamais la valeur de l'épreuve (cf ref biblique). Elle fait avancer.
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Juin 2017
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