L'arrivée à la tête des Etats-Unis de Donald Trump est cruelle pour les médias traditionnels, incapables d'arrêter un « monstre » qu'ils ont eux-mêmes pour partie engendré, et dépourvus de toute emprise sur l'électorat. Cette perte d'influence est désormais la meilleure alliée du populisme. S'acharner sur les médias, comme sur les sondeurs et les experts, va redevenir très à la mode dans les prochains jours. Cela peut paraître en grande partie injuste : le don de divination n'est pas enseigné dans les écoles de journalisme et la profession est à l'évidence démunie face aux pulsions identitaires qui poussent de plus en plus au populisme dans le monde. Il n'en reste pas moins que l'arrivée à la tête des Etats-Unis de Donald Trump est cruelle pour les médias sur au moins deux aspects. Le premier est la perte évidente d'influence d'un quatrième pouvoir aujourd'hui à genoux. Il n'y aura à coup sûr pas de film consacré à cette élection qui ressemblera au célèbre « Les Hommes du président » d'Alan J. Pakula, qui raconte la façon dont les journalistes du « Washington Post » Carl Bernstein et Bob Woodward firent chuter l'administration Nixon. Bien qu'ils aient quasi unanimement appelé à voter Clinton, les journaux n'ont eu aucune influence sur le résultat final. Le deuxième aspect met en question la couverture de la politique et des affaires par les médias depuis bien avant la campagne de Donald Trump. Avant cette élection, le « Donald », s'il était connu, n'était pas encore la star politique qu'il est devenu. Il a fallu qu'il soit porté aux nues comme un de ces « personnages » dont New York et l'Amérique raffolent. Bien que ses défauts fussent tous déjà visibles, il était « une bonne histoire », et ce en particulier dans les médias de gauche. Comme l'expliquait Dominique Moïsi, conseiller spécial à l'Institut Montaigne, dans nos colonnes : « Aboutissement de décennies de dérapages, produit de la rencontre entre l'afflux de l'argent et la révolution des techniques de l'information, la politique spectacle se retourne contre ses protagonistes, entraînant dans une même crise de légitimité politiques et médias. » Des médias aujourd'hui en pleine contrition, qui ne peuvent que déplorer le succès du « monstre » qu'ils ont eux-mêmes pour partie engendré en donnant à Donald Trump une couverture surdimensionnée simplement parce qu'il faisait de l'audience. De ce point de vue, la crise des médias traditionnels - presque tous les nouveaux budgets publicitaires en ligne vont à Google et à Facebook, et la pub papier s'effondre - peut être considérée comme la meilleure alliée du populisme. Il est frappant de constater que CNN, dont les présentateurs étaient effondrés mercredi matin, va enregistrer sa meilleure année en 2016 tant en termes d'audience que de chiffre d'affaires et de bénéfice. Ironie suprême de la situation, Donald Trump a pu, lui, priver ces médias qui l'aidaient malgré eux d'une grande partie des budgets publicitaires qu'une campagne présidentielle leur assure normalement. Etre une « bonne histoire » suffisait. On ne peut pas dire pour autant que la presse et les télés américaines dans leur ensemble n'aient pas cherché à comprendre les électeurs de Donald Trump. Dans leur grande tradition de qualité, elles ont multiplié les reportages et les analyses avec le plus grand sérieux et des moyens. On ne peut pas dire non plus qu'elles se soient cantonnées à un discours feutré élitiste ne parlant pas au coeur. Toutes, à un moment ou à un autre, ont questionné avec vigueur la « décence » de Donald Trump en tant que personne. Mais ces médias « mainstream » se sont heurtés à un mur, celui des nouveaux canaux de l'information. Les citoyens se renseignent aujourd'hui par l'intermédiaire de réseaux sociaux et de sites d'opinion qui sont des chambres d'écho renforçant leurs convictions. Fini l'info équilibrée et la vérité ennuyeuse, aucun fait prouvé ne peut plus entraver une conviction souvent nourrie au ressentiment. Le site de droite Breitbart News en est un exemple parmi d'autres. Pour ne rien dire de Twitter, où règnent les « haters » sans que le propriétaire du site ne se sente obligé d'intervenir.
Comme l'ont dit les médias anglais pendant la campagne sur le Brexit, l'ère de la « post-vérité » a commencé. Les médias traditionnels sont des cibles à abattre. Bizarrement, quand ils disent, enquêtes à l'appui, que Trump ne paie pas ses impôts, qu'il se moque des handicapés, qu'il est sexiste, qu'il ne connaît rien à la géopolitique, l'opinion est indifférente. Elle semble au contraire mettre ces critiques au compte de l'éternelle « conspiration des élites ». Il n'en reste pas moins que jamais avant ce 9 novembre l'impuissance des médias traditionnels n'est apparue avec autant de clarté. Ce qu'il leur reste de poids n'existe encore que lorsqu'ils répercutent ce que disent leurs lecteurs sans le moindre filtre. Au Royaume-Uni, le « Daily Mail » et le « Sun », avec leur rhétorique sur les migrants et les courbures de banane prétendument imposées par les bureaucrates de Bruxelles, ont aidé à faire passer le Brexit. On imagine le dépit dans le New York intello des rédactions du « New York Times », du « New Yorker » mais aussi du « Wall Street Journal » ce matin. Leurs éditos toujours aussi critiques de Trump - « le triomphe des forces du nativisme, de l'autoritarisme, de la misogynie et du racisme », déplore le « New Yorker » - n'ont rien changé. Peut-être même qu'ils paraîtront trop alarmistes, si, plaise à Dieu, Donald Trump gouvernait plus au centre qu'il ne l'a laissé entendre et essayait désormais de refermer les plaies ouvertes pendant la campagne. Mais il est indéniable que le « back to reporting », c'est-à-dire le fait de retourner sur le terrain pour comprendre et raconter ce qui s'y passe, est devenu un impératif plus catégorique que jamais. Nicolas Madelaine publié sur sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0211479803704-la-victoire-de-trump-est-aussi-la-defaite-des-medias-2041838.php?J7f4OZwC75bBYACt.99#xtor=EPR-3038-%5Bnl_ideesdebats%5D-20161113-%5BProv_%5D-2029863%402
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Juin 2017
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