Recep Tayyip Erdoğan, Président de la République de Turquie lors du rassemblement populaire du 7 août 2016. Crédit: page Facebook officielle de Recep Tayyip Erdoğan.
« L’Union européenne a besoin de la Turquie plus que la Turquie a besoin de l’Union européenne » Recep Tayyip Erdoğan, Président de la République de Turquie Rétropédalage sur le chemin de la démocratie Les médias sont souvent sensibles à ce qui les concerne en premier lieu. La prise de pouvoir de M. Erdoğan sur Zamman, l’un des principaux quotidiens d’opposition turc, a donc fait les gros titres en Europe au printemps 2016. Mais cela n’est pas un mal : nous avons pris conscience du fait que la Turquie, si proche de nous, se distancie de plus en plus du modèle démocratique proposée par l’Europe. À l’été 2002, l’abolition de la peine de mort a été décidée par le parlement turc dans une optique de rapprochement des principes de l’Union européenne (l’article 2 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union interdit toute peine capitale et est juridiquement contraignant pour les États membres). Un retour de la peine de mort enfreindrait également les protocoles 6 et 13 du Conseil de l’Europe et la Turquie pourrait par conséquent en être exclu. De l'annonce de M. Erdoğan sur la nécessité de poser de nouveau la question de la peine capitale au parlement et du fait qu’il revient au peuple de juger de l’application d’une telle peine, il est possible d’y voir deux choses. D’abord qu’il y a une prise de distance par rapport à la société occidentale, que les médias critiquent de plus en plus pour ses méfaits sur les mœurs et pour son incompréhension de la Turquie (notamment Yeni Akit). Ensuite que cette volonté de remise au peuple du pouvoir n’est rien d’autre que démagogie. Cette démagogie s’exprime aussi dans la vision unitaire du peuple turc que propose le Parti de la Justice et du Développement (AKP) et qui se cristallise autour du problème kurde. Cette minorité subit de nombreuses restrictions et un certain nombre d’infractions aux droits de l’Homme ont été relevées par les observateurs internationaux. Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), qui a mené plusieurs attaques terroristes contre les Turcs, est d’ailleurs l’ennemi public numéro 1 pour M. Erdoğan. Les purges au sein du gouvernement (notamment marquées par le limogeage d’Ahmet Davutoğlu, Premier ministre de 2014 à 2016), ainsi qu'au sein de l’AKP, dont est issu le Président Erdoğan, ont fait du chef d’État une figure incontestée et apparemment intouchable du pouvoir. Ces limogeages — qui n’ont pas épargné non plus la sphère économique — ont aussi souligné la ligne politique qu’empruntait M. Erdoğan, plus conservatrice sur le plan sociétal, que ses prédécesseurs. M. Erdoğan est aussi accusé d’enfreindre, au passage, les dispositions de la Constitution sur la neutralité politique de la fonction présidentielle. Une société turque fragile Mais l’ère Erdoğan ne vient pas de nulle part. L’AKP est arrivée au pouvoir dans une vague d’exaspération liée à la situation économique du pays. Depuis M. Erdoğan a voulu s’inscrire dans une histoire turque plus large. Alors que sur le plan économique il continuait les réformes libérales, sur le plan sociétal, il a aussi voulu incarner la continuité avec la « grande histoire ». Les six principes du kémalisme — que l’on doit au premier Président turc, Mustafa Kemal Atatürk — qui ont fondé la République, ont été énoncés de façon formelle dans la Constitution : « L’État turc est républicain, nationaliste, populiste, étatiste, laïque et réformateur » (1937). Ce qui est frappant aujourd’hui, c’est que la crispation religieuse que l’ont voit surgir en Europe n’épargne pas la Turquie et s’inscrit en faux des principes d’Atatürk. Le Président Erdoğan, qui a été emprisonné quatre mois à la fin des années 1990 pour avoir « menacé le sécularisme » en ayant récité des vers de Gökalp, est en quelque sorte le témoin de ce renouveau religieux. Il a suivi l’ascension de Recep Tayyip Erdoğan, Maire d’Istanbul au poste de Président. De retour au pouvoir, comme Premier ministre (2003), puis comme Président (2014), M. Erdoğan a renoué avec un certain ottomanisme, notamment pendant les campagnes électorales. Cette propension à rappeler le mythe ottoman au cœur de la politique contemporaine a fait de M. Erdoğan une sorte de nouveau sultan turc. Aussi, la tentative de coup d’État dans la nuit du 15 juillet 2016 est la conséquence de cette dérive autoritaire en rupture avec la tradition républicaine kémaliste. Le putsch mené par plusieurs factions issues de l’ensemble des corps d’armée turcs a pour but de « rétablir la démocratie ». Les appels sur CNN Türk des Présidents Erdoğan et Gül via FaceTime ont incité la population à se rebeller contre l’instauration de la loi martiale voulue par les putschistes. Au delà d’une tentative de coup d’État telle qu’a pu en connaître la Turquie à plusieurs moment de son histoire (en 1960, 1971, 1980 et 1997), ce sont les répercussions, la répression, qui ont montré la vraie teneur du régime de M. Erdoğan. Pour le président turc, les arrestations en masse après le putsch raté ont été critiquées trop vite par des occidentaux qui ne saisissent pas véritablement, selon lui, les enjeux présents. À l’en croire, le duel qui l’oppose à M. Gülen serait la cause de la rébellion. L’imam, Fethullah Gülen, et Recep Tayyip Erdoğan partagent pourtant la même vision de la Turquie : un pays qui doit devenir une république religieuse au centre du monde sunnite. Le Président avait d’ailleurs confié de très nombreux postes aux partisans de l’imam, les Gülenistes, qui voulaient moderniser l’État tout en accordant une nouvelle place à la religion — d’où l’ampleur des purges actuelles. L’État est infiltré depuis longtemps par les Gülenistes ; ils ont dès 2007 manipulé par exemple le recrutement de l’armée. Après de faux procès lancés par les Gülenistes contre les kémalistes et des négociations à couvert avec le PKK en 2012, M. Erdoğan s’est déclaré en rupture avec le mouvement de Fethullah Gülen. Il est encore trop tôt pour savoir si, oui ou non, les Gülenistes sont responsables de la tentative de coup d’État mais force est de constater que le mouvement a servi de bouc émissaire récurrent pour l’État turc depuis les années 1990. Dans tous les cas, l’Europe nourrit des inquiétudes pour l’État de droit en Turquie. La Turquie est-elle le jouet de l’Europe ? Au printemps 2016, l’État turc s’est révélé à l’Occident comme un partenaire majeur. Alors que la Turquie était relativement invisible sur la scène médiatique de l’Europe de l’Ouest, elle est aujourd’hui une préoccupation majeure des médias comme des hommes politiques. La cause ? L’Europe a besoin d’elle. La vieille mythologie de l’Europe centrale nous rappellera que l’Empire ottoman, et plus récemment la Turquie, est avant tout un espace de transition, un espace de confrontations. Celui du monde chrétien et celui du monde musulman. Sans nul doute, les velléités nationalistes des XIXème et XXème siècles (et celles naissantes du XXIème siècle) ont réveillé le mythe d’un mur des pays de l’Est, protecteur de la veille Europe. M. Orbán, le Premier ministre hongrois, ne s’est pas privé de ranimer la vieille victoire de 1686, année pendant laquelle les Hongrois ont bouté hors d’Europe l’ennemi ottoman. Mais c’est pour préserver les intérêts électoraux d’hommes comme M. Orbán que l’Europe a dû se plier à un accord. Le mur de l’Europe ne devait pas céder. Aussi l’accord sur les réfugiés du 18 mars dernier ouvre la voie à un changement de grande ampleur : les Turcs doivent à terme accéder sans visa à l’espace Schengen (cf. point 5, EU-Turkey Statement, 18/03/2016). Un tel changement incite l’UE à s’intéresser encore plus à la vie intérieure du pays. Après une telle compromission, il est évident que l’Europe ne peut que prier pour que l’État turc respecte ses paroles. L’instabilité politique du pays ne fait que fragiliser cet accord — d’où, d’ailleurs, le recul fréquent de la date à laquelle les Turcs pourront voyager en Europe sans visa. Et M. Erdoğan s’en amuse dans son entretien récent au Monde, où il n’hésite pas à mentionner la précarité d’un tel accord. En quelque sorte, il fait chanter les Européens. Peut-être que les dirigeants européens auraient dû se féliciter de la victoire de M. Erdoğan sur les putschistes, comme l’a suggéré Carl Bildt, ancien Premier ministre et Ministre des Affaires étrangères suédois : « L’UE aurait été dans une bien meilleure position aujourd’hui si les dirigeants européens s’étaient rendus immédiatement en Turquie pour exprimer leur horreur vis-à-vis coup d’État et avaient félicité le peuple turc pour l’avoir défait. […] Bien sûr, il n’y a pas de garantie que cela aurait empêché le pays de glisser vers plus d’autoritarisme. Mais l’Europe aurait au moins essayé de se lever pour ses idéaux politiques et ses valeurs démocratiques. » Carl Bildt, ‘Europe, stand up for Erdogan’, Politico Europe, 02/08/2016 Cet absence de sympathie des dirigeants européens a peut-être fait glisser les relations de l’UE avec la Turquie vers encore plus d’hypocrisie. Tout le monde sait que les négociations entre la Turquie et l’Union européenne sur une hypothétique adhésion ne sont que nonsense. Pour l’Union européenne, une adhésion turque est plus qu’improbable : la Turquie ne répond pas aux plus précieux des critères d’adhésion, les critères de Copenhague (p.ex. démocratie, droits de l’homme, droits des minorités ou liberté). Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, l’a encore répété sur le plateau de France 2 le 25 juillet 2016 : « la Turquie, dans l'état où elle se trouve, n'est pas en situation de pouvoir adhérer sous peu, ni d'ailleurs sur une plus longue période ». Qui plus est, une adhésion renverserait les équilibres européens en faisant de la Turquie le pays le plus peuplé d’Europe. Alors pourquoi la Turquie et l’Union continuent-elles de jouer un jeu qui n’apporte a priori rien de nouveau aux deux parties ? Ces négociations créent un espoir dans la société turque et donne une image d’une société proche des valeurs de l’UE sur la scène extérieure. En quelque sorte, elle sert de garantie au pouvoir d’Erdoğan. Pour l’Union européenne, c’est un mandat tacite pour prendre position sur la politique intérieure turque. Malgré tout, on peut considérer que cela compromet l’intégrité de l’Union, au sens où nous nous associons à un régime qui contredit les principes clefs de nos Traités. Ainsi, le fait de s’associer à la Turquie souligne deux choses pour les institutions et les partenaires européens : primo, la grande détresse des gouvernements face à la crise des réfugiés et, secondo, l’impossibilité d’exclure la Turquie du champ des partenaires de l’Union. Une voie dangereuse : le risque d’être mis à la marge Mais si le rôle européen de la Turquie est reconnu par l’UE depuis longtemps, le comportement des dirigeants turcs et la situation géopolitique de l’Anatolie risquent de faire de la Turquie un paria sur la scène mondiale. Depuis quelques jours, des voix s’élèvent aux États-Unis pour exiger le retrait de l’armement nucléaire américain entreposé en Turquie. M. Anderson, ancien du National Security Council et consultant de la Nuclear Threat Initiative, a ainsi publié une tribune dans le Los Angeles Times pour souligner les risques d’une présence d’armes nucléaires américaines en Turquie : outre la situation géographique de la base d’Incirlik (en zone frontalière avec la Syrie), il va de soit que l’instabilité politique du pays et la perte de confiance dans l’État d’Erdoğan sont aussi à l’origine des risques pressentis. La base d’Incirlik a ainsi été fermée quelques temps à la suite du coup d’État. Tout cela, alors même que la Turquie est membre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Doit-on sous entendre que la Turquie pourrait être l’un des nouveaux dangers sécuritaires en Europe ? M. Erdoğan n’a cessé de rappeler que la Turquie était la frontière avancée de l’Europe, notamment avec les territoires aux mains des terroristes. La stabilité du pays est donc un enjeu essentiel pour l’OTAN et, avant tout, l’Europe puisque des terroristes islamistes transiteraient par les frontières turques. Mais les relations de la Turquie avec le cœur de l’alliance, les États-Unis, sont encore loin d’être paisibles. Les accusations et la demande d’extradition de M. Erdoğan contre M. Gülen, installé depuis 1999 aux États-Unis, ont contribué à refroidir encore plus les relations avec la Maison Blanche. L’exigence du président turc de procéder à une extradition sans laisser le Département de la Justice gérer la procédure relève pour les conseillers américains d’une ingérence tout autant que d’une attitude surprenante pour le chef d’un État de droit. D’autant plus que M. Gülen, dans une tribune au Monde, a plaidé son innocence et demandé une enquête internationale sur le coup d’État raté… De l’autre côté du monde, les relations avec M. Putin ne sont pas non plus au beau-fixe. Après qu’un avion russe a été descendu par l’armée turque, la rencontre des deux présidents à Saint-Pétersbourg, le 9 août 2016, devait être l’occasion de renouer des liens entre les deux puissances. Pour les officiels turcs il ne s’agissait pas de tourner le dos à l’Europe, mais il est évident que cette rencontre a de quoi intriguer les diplomates européens. Le comportement de la Russie vis-a-vis de l’Europe et de l’OTAN (notamment dans la crise syrienne) est provocateur ; en suivant son modèle la Turquie risque une mise à l’écart encore plus lourde. Somme toute, la Turquie restera pour l’ère qui s’ouvre un enjeu majeur de la politique européenne (intérieure et extérieure). Le défi posé à l’Europe est incommensurable. Il nous faudra, nous Européens, faire face à la montée d’un autoritarisme croissant en promouvant nos valeurs tout en nous trouvant obligés de traiter avec le régime turc pour assurer notre sécurité et notre prospérité, ainsi que la stabilité de l’Europe. Alexis Chalopin Étudiant en Affaires européennes (Sciences Po & London School of Economics) [email protected]
3 Commentaires
Benito Mussolini
10/16/2016 08:22:33 pm
J'approuve totalement votre article. La lèpre judéo-slave doit être éradiquée pour la prospérité de notre Europe. Promouvons nos valeurs occidentales face aux monstres d'Orient! Vive le capitalisme, vive l'Europe!
Répondre
Benito_Mussolini
10/16/2016 08:22:50 pm
J'approuve totalement votre article. La lèpre judéo-slave doit être éradiquée pour la prospérité de notre Europe. Promouvons nos valeurs occidentales face aux monstres d'Orient! Vive le capitalisme, vive l'Europe!
Répondre
Benito_Mussolini
10/16/2016 08:22:59 pm
J'approuve totalement votre article. La lèpre judéo-slave doit être éradiquée pour la prospérité de notre Europe. Promouvons nos valeurs occidentales face aux monstres d'Orient! Vive le capitalisme, vive l'Europe!
Répondre
Laisser un réponse. |
AuteurÉcrivez quelque chose sur vous. Pas besoin d'en rajouter, mentionnez juste l'essentiel. Archives
Juin 2017
Catégories |
L'Objectif est un journal contributif de la jeunesse. For the Youth. By the Youth. Pour vous. Par vous. Pour contribuer, envoyez votre texte à [email protected].
Nous sommes des étudiants, des jeunes de différents horizons, cultures, pensées, animés par une même passion et une même envie: changer les choses qui doivent l'être. Pour cela, commençons par écrire de manière engagée et authentique, et il n'y a pas meilleur moyen que le journalisme. Et vous dans tout ça? Vous êtes inclus dans le Nous, si vous voulez nous rejoindre et mener ensemble notre projet. |