"Tomber amoureux, c'est rendre du relief aux choses, s'incarner dans l'épaisseur du monde." La société actuelle dans son ensemble est "hypersentimentale", mettant l'amour à toutes les sauces, s'imagine même pouvoir devenir "une société de frères et d'amants".
Finalement, nous dit Pascal Bruckner, personne n'a gagné : ni ceux qui prétendaient libérer le désir sexuel, ni les défenseurs des bonnes moeurs qui escomptaient nous ramener au statu quo ante. Si la volonté de faire table rase a échoué, les plus rétrogrades ont été affectés, eux aussi, par le changement. Chacun de nous réunit les expériences de toutes les époques : du libertinage du XVIIIe siècle à la révolution sexuelle du XXe, en passant par le romantisme du XIXe. "La nouvelle femme est peut-être l'addition de toutes les figures apparues au cours de l'Histoire : beauté vénéneuse et vierge froide, vamp perverse et mère aimante, midinette et meneuse d'homme..." L'Echec du mariage d'amour Dans le mariage classique, l’amour et la volupté étaient bannis. Nos ancêtres estimaient que le désir et le sentiment étaient trop fragiles pour fonder une union durable. Ils étaient moins prudes que prudents. Aujourd’hui, l’amour est devenu obligatoire. La sexualité est même le baromètre de la santé du couple. Comme l’écrivait déjà Engels, dans Les Origines de la famille : « Seul le mariage d’amour est moral et seul l’est aussi le mariage où l’amour persiste. » Au XIXe siècle, il y avait du courage à célébrer les vertus du sentiment dans un monde adonné au culte de l’intérêt. À notre époque, c’est une banalité : l’amour devait apporter la solution, il est devenu un problème. Le désir comme le cœur sont soumis au régime de l’intermittence. Le mariage fond comme peau de chagrin depuis 1970 (de 400 000 à 250 000 unions célébrées, lesquelles finiront pour moitié en divorces). Et si le concubinage et le pacs sont plébiscités, c’est qu’ils proposent un lien révocable à tout instant. Nous voulons les avantages du couple sans les conséquences qu’il entraîne. La fin du lien familial? L’enfant n’est pas soumis à cette nature plébiscitaire de l’affection conjugale. On l’aime d’un amour inconditionnel. S’il y a un nouveau désordre familial, il se trouve là : dans le contraste entre la fragilité du sentiment amoureux et la solidité de la filiation. La sacralité réside dans le lien familial, la versatilité, dans le lien conjugal. Lors d’un divorce, l’enfant est souvent l’otage des dissensions. D’où l’importance de réussir sa rupture autant que son mariage. Dans les familles recomposées, la difficulté est de cohabiter avec les rejetons du nouveau conjoint, de sympathiser avec les ex. Ces fratries, présentées comme un modèle d’harmonie, me font penser aux appartements collectifs soviétiques où les gens étaient entassés ensemble, contraints de faire bonne figure. Ce n’est déjà pas simple de supporter les siens à temps complet. Et ces nouvelles tribus élargies font peser sur les épaules de chacun des responsabilités accrues. Famille, je vous aime, mais pas tous les jours… La famille autoritaire nous soumettait à la loi d’un tyran domestique, mais elle avait le bénéfice de désigner le chemin de la révolte. Avec la famille d’amour, c’est plus compliqué : comment se révolter contre un câlin ? Quelles remèdes? Nous devons apprendre à dissocier la famille et le couple. Parce que ce sont des régimes sentimentaux différents. La construction de la famille est un acte qui engage complètement. On aime plusieurs fois dans sa vie. Mais on ne renie plus ses enfants comme au temps de Rousseau. On les choisit, on les chérit avant même qu’ils ne viennent au monde. En revanche, le couple est un dialogue constant entre la raison et les passions, entre l’attachement à une personne précise et la versatilité du désir. Si l’amour veut brûler, qu’il s’abandonne tout entier au désordre des sens, qu’il se consume en quelques jours, quelques mois. S’il veut durer, il doit consentir au temps, se bâtir à partir du quotidien et non contre lui. Aujourd’hui, nous sommes sous l’emprise du mythe fusionnel : nous aimons l’amour plus que les êtres. Si l’autre ne vous inspire plus, il est coupable, vous le congédiez sur le champ. Mais pourquoi l’effervescence des premiers instants ne pourrait-elle se transformer en amitié amoureuse ? Pourquoi ne pourrait-on cloisonner sa vie en différents compartiments ? Vivre ensemble et séparés, recréer une utopie intelligente de la distance ? En l’absence d’un modèle et d’un contre-modèle faisant autorité, il revient à chaque couple d’emprunter toutes les recettes de sagesse disponibles. Enfin, en un temps qui célèbre la passion sauvage, je plaide pour assujettir les élans du cœur et de la chair au principe de délicatesse. Pardonnons-nous nos faiblesses réciproques, ne nous blessons pas inutilement. Gardons-nous de ce travers contemporain : la muflerie. Pascal Brukner
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Anne Marie
Premier jour de stage, je rencontre l'équipe de stagiaires avec qui je vais partager six mois dans un petit bureau de la place parisienne. Lucas, grande gueule, détente, je sens qu'on va être copains et Anne Marie, trop à l'aise et brusque. Elle se présente comme la reine des stagiaires. Tu comprends on est une grosse bande de stagiaires, on se fait tout le temps des soirées, tu vas te plaire ici. La première semaine passe, le travail est exigeant, les horaires lourdes mais le sujet passionnant. Au fil des pauses café, je commence à me faire une idée plus précise de mes deux collègues. Anne Marie porte une imposante chevalière dorée clinquante sur son auriculaire. Gloups. Quelle faute de goût, le genre noblesse de la dernière heure, je ne raffole pas. Surtout, qu'Anne Marie vient d'un milieu modeste en banlieue. Besoin de paraître. Elle me raconte que ses meilleures copines se marient cet été. Gloups. 21 ans, mariage arrangé, pressé. Un soir, elle m'ajoute sur Twitter. J'avais déjà reçu une demande d'amitié facebook le jour de mon arrivée. Un poil oppressant. Je parcours son fil de tweets. Elle joue dans la cathosphère, retweete paroles de prêtres et punchlines d'abbés. Et puis, un matin, Anne Marie arrive au bureau et dépose sa bible à quelques centimètres de mon clavier. GLOUPS. Soudain, contexte oblige, je me mets à imaginer Anne Marie à la tête d'un de ces groupes qu'on a vu défiler en 2013 au nom de la Manif pour tous. Bannières à l'épaule, panneaux sous le bras, étalage de rose et bleu, criant les slogans lancés au micro par la Barjot. Cette pensée m'agace. Pourquoi le lien entre foi catholique et Manif pour tous me parait-il si évident ? Pourtant, à quelques jours du retour du gang des Barjots dans la rue, Anne Marie explique qu’elle entend bien se rendre au rassemblement avec toute sa famille. Parce qu’il faut défendre les enfants. Anne Marie ou le jumeau maléfique de Frigide. Je passerais ici l’argumentaire nauséabond d’une Anne Marie partie en croisade contre son bon sens et ses précieuses valeurs chrétiennes. Car Anne Marie, tu te trompes : reconnaître à tous le droit de se marier est une marque de tolérance, d'amour et d'acceptation, des valeurs chrétiennes, précisément. Je veux convaincre Anne Marie que l'ouverture du mariage aux homosexuels n'est pas une menace pour sa foi mais une façon de défendre les valeurs chrétiennes. Forte de mes 18 années d'études passées dans un lycée privé catholique, voici donc ce que j’aimerais répondre à une Anne Marie en puissance : Protégeons les enfants Commençons par les arguments "antis". Au cœur de l’argumentation de la Manif pour tous, il y a le souci de protéger les enfants. Les protéger de qui ? de quoi ? La protection des enfants est un argument malin parce que fédérateur. Quoi de plus adorable et fragile qu'un nourrisson. Cet argument place, a contrario, les opposants de la manif pour tous dans un rôle de persécuteurs d'enfants. Une rhétorique démagogique et pernicieuse. La théorie du genre Un père et une mère donc, sont seuls nécessaires au bon développement de l'enfant affirment les "antis" au nom de la protection des enfants à naître. A cela, certains répondent par la théorie du genre. Qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qu'une femme ? Si l'identité sexuelle n'est qu'une construction sociale, si les codes de la féminité et de la virilité sont superficiels, archaïques et paternalistes, alors l'homme et la femme ne sont pas fondamentalement différents. Et, avoir un mère, un père, deux mères ou deux pères, cela reviendrait finalement au même. Autant le dire tout de suite, je ne suis pas d'accord. Un homme, une femme, c'est différent et c'est tant mieux. Donc non, avoir un père, une mère, deux mères ou deux pères, ce sont des situations chaque fois différentes. Pas mieux, pas moins bien, juste différentes. L'argument du "moins pire que" Hiérarchiser ces situations n’a pas de sens : aujourd’hui, dans le hit-parade des familles, les familles hétéros devancent les familles homos, qui devancent les familles décomposées, qui devancent les familles pourries. Et en dernière position pas de famille du tout. Non. Juste non. Certains affirment qu'un enfant préférera toujours être élevé par deux hommes que par un alcoolique et une mère absente, qu'un orphelin préférera toujours des parents, mêmes homos, que la solitude des foyers sociaux. Cette comparaison en forme de "moins pire que" n'est pourtant pas la réponse. Je suis convaincue que chaque famille est unique, car composée de plusieurs personnalités qui créent ensemble des liens très personnels. Ma famille ne ressemble à aucune autre. Elle a ses inconvénients et ses avantages. La comparaison entre familles hétéro-parentales et homoparentales ne peut pas prendre la forme du "moins pire que". Il y a du bon et du moins bon à chaque situation et ce n'est pas mieux en soi d'avoir un père et une mère, aussi parfaite la famille du bonheur puisse-t-elle paraître. Une famille en or Naître dans une famille homoparentale, vient avec une série d'inconvénients : discrimination, sentiment d'être différent, discrimination, moquerie, discrimination (encore)... Mais ces familles sont aussi pleines d'avantages. Oui oui des avantages. D'abord il y a l'ouverture d'esprit, la tolérance et l'acceptation des autres. Mais aussi le respect et l'amour. Je m'explique. Un enfant qui naît avec deux mères ou deux pères, apprend très tôt à comprendre et accepter les différences. La tolérance en somme. Et L'amour. Pourquoi l'amour ? Eh bien parce que pour braver les épreuves qui ponctuent la démarche de fonder une famille, il faut beaucoup (beaucoup) d'amour. Ce parcours semé d’embûches est une épreuve émotionnelle que seuls des couples suffisamment amoureux, attachés et solides parviennent à traverser. Et cet amour à toute épreuve, transmet aux enfants un modèle de couple, aimant et équilibré. Rien que ça. Le message d'amour Le message de Dieu, je l'ai entendu pendant 18 ans, tous les jeudis au catéchisme. Ce que j'ai retenu : Dieu est amour. L'amour aussi original soit-il, suivra toujours le message de Dieu, car Dieu accepte les Hommes pour ce qu'ils sont. J'ai fait un lien hâtif et faux entre le message chrétien et la Manif pour tous. Si la Manif pour tous légitime son discours de haine en l'embaumant de morale chrétienne, ce n'est rien d'autre que de la manipulation. Et la manipulation c'est mal. Mathieu 22:38 : Tu n’invoqueras pas le nom du Seigneur ton Dieu pour le mal, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque son nom pour le mal. Homélie Anne Marie, Reconnaître à tous le droit de faire officialiser son amour par le mariage est une façon d'affirmer le message de Dieu. Reconnaître à des couples qui s'aiment, d'un amour pur et solide, le droit d'avoir des enfants infiniment désirés et choyés, est la meilleure façon de porter haut les valeurs chrétiennes, de tolérance, d'amour et de charité. Charlotte Hector |
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Juin 2017
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