Œdipe explique l'énigme du sphinx, Jean-Auguste-Dominique Ingres Quel est le point commun entre le héros du mythe de Sophocle, la gouvernance de la polis et les prochaines élections présidentielles ? Derrière cette équation apparemment insoluble se cache la trinité du pouvoir, de la culpabilité et de la responsabilité. En voici, schématiquement, le sens ; ou comment illustrer la politique actuelle par un mythe vieux de plusieurs siècles. La légitimité du pouvoir politique Oedipe est choisi par la Cité de Thèbes pour devenir son roi. Il tire donc la légitimité de son pouvoir de la volonté populaire qui a reconnu en lui des qualités exceptionnelles propres aux dieux. Aujourd’hui, on qualifierait de démocratique cet acte - sans que cela engendre pour autant, bien entendu, une démocratie. En effet, Oedipe est plus qu’un roi, il est un tyran au sens grec du terme, c’est-à-dire pas nécessairement quelqu’un de despotique et de machiavélique avec son peuple (au début de la pièce, dans les supplications adressées à Oedipe, on sent qu’il est manifestement très aimé des Thébains), mais un homme qui n’a pas hérité du pouvoir de son père. Le mot tuvrannoı implique qu’Oedipe n’appartient pas à une famille régnante ; lui a conquis le trône « par la faveur du peuple », donc démocratiquement. Comme les politiques contemporains. La passion du pouvoir Cependant, l’évolution de l’exercice du pouvoir par Oedipe peut s’apparenter à nos sociétés contemporaines, et, plus précisément, à la passion du pouvoir. Au fil de la pièce de Sophocle, l’hubris d’Oedipe prend le pas sur sa sagesse, et à l’image du protecteur succède une image dégradée du pouvoir qui se réalise dès le retour de Créon et l’affrontement avec Tirésias. Cette passion du pouvoir le rend aveuglant : Oedipe commence alors par réagir de manière « tyrannique » au sens où le français l’entend (il parle de tuer Créon sans le juger : attitude arbitraire qui est caractéristique du tuvrannoı). Or, « la violence fait le roi » écrit Jean Bollack : la démesure et la tyrannie sont donc mères et filles. Oedipe porte en lui la violence du tyran, aveuglé par les rayons du pouvoir, et oublie ses devoirs envers la cité. De nos jours, cela semble encore plus vrai. En effet, l’histoire d’Oedipe est le plus complet des mythes politiques, dans la mesure où chaque étape de son parcours retrace un moment dans l’accession au pouvoir (Marie Delcourt, Oedipe ou la légende du conquérant, 1981) : l’exposition de l’enfant, le meurtre du père, la victoire (sur la Sphinge), l’énigme, le mariage avec la princesse et l’union avec la mère. Or, nombre de présidentiables de 2017 retracent cette voie oedipienne sans en faire le moindre complexe. Mais d’où vient ce vice du pouvoir aveuglant ? De la culpabilité D’Oedipe, encore. Et de la culpabilité. Karl Jaspers a distingué quatre formes de culpabilités dans son essai La culpabilité allemande : criminelle, morale, métaphysique et politique. Où se situe la culpabilité oedipienne ? Un peu dans chacune d’elle : le meurtre du père, l’inceste, l’infraction des lois divines puis la trahison envers les citoyens de Thèbes - donc envers la Cité. Sophocle montre donc ainsi que c’est Oedipe qui a rendu tout pouvoir coupable : on ne peut exercer le pouvoir sans une quelconque culpabilité. Or, dans la langue de Jaspers, le mot « die Schuld » désigne à la fois la dette et la culpabilité : ce pouvoir coupable est une dette dont les générations futures devront payer le prix - celui du déni de responsabilité. « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » écrivit René Char (Feuillets d'Hypnos) : encore moins celui des politiques. Aux présidentiables de 2017, donc, de refuser ce legs que Sophocle a su s’y bien mythifier. Car ce pouvoir oedipien, c’est celui qui aveugle, qui culpabilise, qui tyrannise, qui perd sa raison d’être alors qu’il avait celle de naître. A eux et aux citoyens de « prendre leurs responsabilités », comme Antigone envers son père (Oedipe à Colone, Sophocle), au risque de tous terminer avec les pieds enflés. Tom Cailletétudiant à HEC Paris, passionné de philosophie, vous pouvez aussi trouver son article précèdent sur les jeux olympiques. Catégories
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Notre représentation du temps est polluée et restreinte. Nous l’abordons quasiment par réflexe sous l’angle unique de sa gestion. Nous adorons construire des emplois du temps plus ou moins précis et rigides, élaborer ou adopter des méthodes de Time Management pour gérer au mieux ce que nous percevons comme une ressource. Cette approche a comme simplifié et figé de manière rassurante le « temps ». Elle est héritée directement des Révolutions industrielles qui ont ouvert la voie par des techniques toujours plus élaborées à des gains de productivité toujours plus importants et associés à la croissance et au progrès en général. S’est alors opéré dans les esprits un basculement vers une représentation du temps ne pouvant être valorisé qu’en tant qu’il est rendu productif. On s’est mis à faire fructifier le temps comme l’on s’est mis à faire fructifier le capital : Time is money. Le temps de l’économie industrielle est né. On a inventé la « perte de temps », ce temps improductif, confondant non-action et passivité : il faut faire quelque chose. Et de fait en voulant éviter de ne rien faire et donc de « perdre son temps », nous perdons notre temps tout à fait. On ne réalise plus qu’en ne faisant « rien », qu’en laissant simplement ses pensées se délier dans nos esprits, on fait infiniment plus qu’en consultant son téléphone à la recherche frénétique d’informations vides mais donnant l’illusion de « faire ». "En voulant éviter de perdre notre temps, nous le perdons tout à fait : prendre son temps n’est pas perdre son temps" On a pensé que si ce temps-ressource a pu être le support d’une croissance économique fulgurante depuis 2 siècles, il pourrait être bon de le fixer et de le généraliser. Et si le Time management pouvait devenir un outil d’application rationnel et scientifique de notre volonté sur le monde, donc de contrôle de nos vies, donc de liberté ? Là où il y a égarement, c’est que l’on a commencé à appliquer à nos vies une logique issue de l’industrie et donc destinée à des machines. Le temps de la vie humaine est précieux, mais pas en tant que ressource au sens économique du terme. Les temps et les rythmes de l’homme ne peuvent être rapportés à ceux d’une machine. C’est de là que provient l’aveuglement : l’homme est assimilé à une machine dont l’on peut sans limite améliorer la productivité. Et l’on regrette presque que l’homme ne soit pas justement une « meilleure machine ». Et ce que l’on peine aujourd’hui à comprendre, c’est que ce n’est pas là un défaut ou une limite de l’homme. C’est au contraire là que réside toute sa force de création et toute sa capacité à donner du sens aux choses. Mon idée est que plutôt que d’être obsédé par la gestion optimale de son temps, il faut arriver à sortir de cette logique de « gestion du temps » ou « Time management » trop dépendante de la représentation du « temps-ressource » dont le seul destin est d’être rendu toujours plus productif. Non pas pour l’oublier, mais pour la combiner à d’autres approches. Il faut libérer le temps de sa gestion ! "On applique à nos vies des logiques issues de l’industrie et destinées à des machines" Le but de mon article est ainsi d’enrichir les représentations temporelles des lecteurs en suggérant d’autres schémas mentaux autour de la notion de temps. C’est une nécessité, non seulement parce qu’en enrichissant ses représentations, on enrichit sa vie, mais aussi parce le « temps-ressource » seul échoue même à ses propres objectifs. En n’envisageant le temps que sous l’angle de la productivité, l’on devient souvent paradoxalement et plus ou moins consciemment contre-productif à moyen et long-terme. J’ai consacré un mémoire de recherche assez conséquent sur ce phénomène dans la ville de Shanghai en explorant de nombreux cas tant dans le monde de l’entreprise que dans les vies personnelles des Shanghaiens. Mais un certain nombre des résultats de mes recherches à Shanghai s’applique au monde industrialisé et urbanisé en général. Plus proche de nous, les travaux du sociologue du travail Philippe Zarifian mettent très bien en évidence ce phénomène dans le monde de l’entreprise. Les éléments de cet article, très synthétiques, sont tirés d’une conférence que j’ai donnée à Shanghai sous le titre Time representations, happiness and efficiency et sont inspirés de mes observations, réflexions et lectures dont entre autres, outre les travaux de Zarifian, ceux de Hartmut Rosa et François Jullien. Leur objectif est d’enrichir les moyens dont disposent mes lecteurs pour penser la question du temps tant dans le cadre de leur vie personnelle que professionnelle. Car c’est bien là le vrai rôle du manager au passage : trouver des équilibres dynamiques en fonction des situations. Dès qu’il y a de l’humain, il n’y a jamais de recettes toute faites et fiables en toutes circonstances et il faut donc garder une posture ouverte, dynamique et consciente. Concevoir le temps uniquement comme une ressource économique c’est avoir un management infécond et justement contre-productif. Il s’agit de savoir alterner de façon pertinente les conceptions et pour cela il faut d’abord remettre du dynamisme dans une représentation du temps qui s’est figée ! Dans un premier temps il s’agit déjà de bien réaliser à quel point le concept de temps est en lui-même déjà un outil artificiel de régulation d’abord social (calendrier, etc.) puis économique (ressource au service de la productivité). Une fois cette mise à distance évitant de confondre carte et réalité intégrée on peut commencer à se libérer de représentations trop étroites. Voici à présent une proposition synthétique d’outillage conceptuel, tant pour sa vie personnelle que pour sa vie professionnelle, dans le but d’initier une réflexion et une mise en mouvement des schémas mentaux de la temporalité ancrés dans nos esprits modernes. J’y passe en revue un certain nombre de notions liées au concept de temps. Elles ne sont d’ailleurs pas exclusives, elles communiquent entre elles, et ont toutes l’avantage d’être de bonnes portes d’entrée pour repenser ce qu’est pour nous le « temps » au quotidien. Cet outillage appellera à des développements dans d’autres articles. Le moment
"Comment puis-je utiliser ce moment ?” ou “A quoi ce moment est-il favorable ?” Il peut être vu comme une « fraction » de temps face à laquelle on se demande : « comment puis-je utiliser ce moment ? ». Les concepts moteurs sont alors ici ceux de liberté, d’initiative, de volonté. Il peut aussi être vu comme un contexte spécifique qui amène plutôt la question : « Pour quelles actions ce contexte est-il favorable ? ». Ici le concept moteur est l’harmonie. Dans un cas, l’emploi du temps est une série de « créneaux-boites » que l’on veut remplir au mieux et dans l’autre cas, c’est une succession de terres fertiles appelant à féconder des graines différentes. La tension entre ces deux approches est perceptible à maintes occasions où l’on a du mal à lâcher prise sur le contrôle que l’on pense exercer sur son temps : voyager en suivant un plan et une liste précise de choses à faire ou bien se laisser aller à une appréciation plus spontanée de ce qui vient, répondre à des mails lorsque l’on est avec des amis, consulter son téléphone pendant une conférence, etc. Il n’y a encore une fois pas de manichéisme dans ces approches : tout est une question de conscience, d’arbitrage et d’équilibre. L’opportunité "L’opportunité-quantité ou l’opportunité-qualité ? (la boîte ou la graine ?)" Elle affecte directement notre conception du moment vue précédemment. L’opportunité peut être vue comme l’occasion unique d’un saisissement à l’image du dieu grec Kairos-opportunité dont il fallait savoir saisir les longs cheveux au moment où il se présentait à nous, ni avant, ni après. Mais aujourd’hui les opportunités à saisir et à ne pas rater sont partout, à tout moment, numérique aidant, et le risque est de se noyer, ne sachant comment prioriser. La conception chinoise traditionnelle de l’opportunité peut ici être pertinente. Le sens du sinogramme 时 shí signifiant « moment » mais aussi « saison » et « opportunité » en chinois traditionnel est « le soleil fait éclore les germes de vie contenus dans la terre » (Claude Larre). Il s’agit ainsi de « planter une graine » au bon moment et d’en attendre les fruits plus tard. En concevant l’opportunité aussi comme une graine à planter et pas seulement comme une chance à saisir et qu’il ne faut pas rater, on inscrit son action dans une perspective qualitative et long-termiste qui tempère la frustration dans laquelle on peut plonger lorsque l’on ne vit que selon la première perspective. Il faut apprendre à voir dans l’opportunité, outre l’irréversibilité qui nous met sous pression, les fruits que l’on espère en tirer à long-terme et le temps qu’il faudra consacrer à arroser la graine. Le rythme "Performance mesurable ou maturation subjective ?" Notre conception du bon rythme est perturbée par notre besoin de vitesse. On surestime toujours notre capacité à aller vite, ce qui ne fait que renforcer nos frustrations dans nos réalisations. Nous n’arrivons plus à regarder sereinement nos avancements dans nos activités diverses car nous les jugeons à la lumière de la performance numérique mesurable et tangible et pas assez à la lumière qualitative du processus même de réalisation. Lorsqu’on lit un livre par exemple, on se laisse trop souvent impressionné par le « +1 », par le nouveau score des livres achevés, sans considérer suffisamment la manière dont l’on s’est transformé ou pas dans la lecture. « J’ai fini ce livre » : tu n’as rien fini du tout car la fin, ce n’est pas le livre que tu as consommé, c’est toi-même. L’on pourrait passer sa vie entière sur un seul livre ! Combien de livres (ou équivalents de cette invention moderne) pensez-vous réellement qu’Aristote a pu lire à son époque ?… Du point de vue aussi de la productivité, en entreprise notamment, il faut savoir alterner de manière adéquate les visions du bon rythme. La perception adéquate n’est pas systématiquement celle d’une productivité mesurable où il s’agit de faire le plus possible dans un temps réduit au maximum. Il y a des rythmes, notamment ceux de la créativité et de la qualité (mais pas seulement), où il faut accepter que la productivité ne soit pas de l’ordre de la mesure mais d’un rythme interne non-objectif correspondant à celui d’une maturation et d’une assimilation qui garantit sur le long-terme un travail de bien meilleure qualité que celui élaboré sous une pression d’un résultat tangible court-termiste. On a oublié que prendre son temps n’est pas nécessairement perdre son temps, au contraire. Il s’agit là encore de juger du bon équilibre et du bon arbitrage entre les représentations. La continuité "Table rase ou changement transitionnel ?" Pour assurer la continuité sur le long-terme d’un processus, d’un projet, d’une relation, etc. il y a au moins deux façons : le changement radical lorsque le processus ne fonctionne clairement plus ou bien injecter déjà lorsque l’on sent poindre l’épuisement du processus un petit changement transitionnel qui lui donne un nouvel élan jusqu’à la phase de faiblesse suivante. Cette deuxième conception est très présente dans les sagesses traditionnelles asiatiques qui s’intéressent plus aux processus qu’aux événements qui ne sont souvent que des manifestations spectaculaires de « transformations silencieuses », selon l’expression de François Jullien, et qui sont à l’œuvre déjà bien en amont de manière certes moins visible mais plus ancrée. L’idée de cette sagesse est d’agir directement sur les processus par petites touches plutôt que d’attendre l’événement qui parfois sera celui d’une table rase apparente qui ne garantit pas même nécessairement la construction de quelque de chose de novateur derrière. Ces logiques et les arbitrages qu’elles appellent peuvent même s’appliquer à la petite échelle d’une conversation. Les catégories passé/présent/futur "Des actes de l’esprit précieux pour s’orienter et construire son récit" Ces trois catégories sont des actes de l’esprit ne renvoyant à rien de réel malgré la consistance que semble leur donner le langage. Le passé est avant tout une empreinte laissée dans la mémoire, le futur une orientation imaginée et le présent un contexte. Il faut savoir donc être agile à leur égard. La planification excessive et rigide du futur n’a aucun sens, bien que rassurante. Chercher par exemple absolument à concrétiser une action que l’on a planifié alors que le contexte ne s’y prête plus peut devenir destructeur. Planifier permet avant tout de s’orienter. Par ailleurs, un autre aspect intéressant de ces catégories est que « passé » et « futur », dans leur construction imaginaire, forment à eux deux le récit de l’histoire et donc l’identité d’un individu ou d’une organisation. Le bien-être se trouve du côté de la cohérence et de la progression de ce récit. Hartmut Rosa démontre brillamment dans Aliénation et accélération la manière avec laquelle nos vies d’aujourd’hui mettent sous tension la cohérence de ce récit et donc de notre identité débouchant sur un sentiment d’étrangeté vis-à-vis de soi-même. Le repos “Nous ne savons plus féconder l’ennui” C’est peut-être la conception la plus mise à mal de notre époque du fait de ce que j’appelle « l’imaginaire de la machine ». Et c’est peut-être aussi la source de toutes les autres tensions temporelles qui nous traversent. Les moments de repos, de pause, de temps libre sont vus comme des moments improductifs. Mais ils sont inévitables du fait de notre condition humaine qui à vrai dire nous dérange presque. Si l’on avait le pouvoir de se débarrasser de ces moments perdus, l’on n’hésiterait pas. C’est là selon moi l’une des pensées les plus dramatiques de notre temps car l’on ne voit plus la force fondamentalement créatrice du repos qui est totalement complémentaire de l’action et non soumise ou opposée à celle-ci. Se reposer, ce n’est pas simplement « recharger ses batteries ». C’est un moment à part entière de l’action et de la création. C’est l’occasion d’une prise de recul et d’un moment réflexif qui nourrit l’action de manière féconde. Et ces moments de repos ne sont pas uniquement des moments de solitude réflexive. Il peut s’agir également d’un temps consacré à une activité physique ou à un ami. On fait souvent l’erreur de ne voir que le temps que ces moments nous font « perdre » à court-terme, mais une heure passée à faire du sport est largement compensée par le temps « gagné » en terme d’efficacité derrière. J’utilise sciemment ici le vocabulaire du Time Management pour souligner à quel point cette logique elle-même de production court-termiste échoue à ses propres objectifs et est en réalité inopérante et inadaptée à l’humain. Quant au temps passé avec un ami, une personne avec laquelle on apprécie discuter ou encore un collègue d’un autre département de son entreprise : les inspirations, les réflexions, les opportunités même pouvant naître de ces conversations représentent potentiellement un « temps gagné » inestimable ! Le court-termisme productif pousse même à l’aberration de temps réellement morts qui redéfinissent le repos d’une manière étrange : le besoin de faire quelque chose va plutôt nous amener, pour nous reposer « rapidement », à passer quelques minutes par exemple sur ton téléphone à faire défiler des platitudes sans but précis. Ce moment de repos est tué tout à fait car il se déploie sur un écran qui empêche de laisser libre cours à ses pensées créatrices. « Nous ne supportons plus la durée » écrit Paul Valéry dans son Bilan de l’intelligence… Parfois jusqu’à l’absurde. C’est un besoin frénétique : il faut faire quelque chose, même s’il s’agit de faire défiler de manière hypnotique des images et des textes sur un écran. L’on parle beaucoup du temps de vie perdu à chaque cigarette, mais qui parle du temps vie perdu sur les écrans de téléphone ? J’aime particulièrement l’image suivante : on explique souvent que dans la Bible, le Créateur a façonné le monde en 6 jours et s’est reposé le 7ème. Quel sens cela a-t-il pour Lui de se reposer ? Ce n’est pas un homme ! La raison est que le 7ème jour est aussi un jour de création : celle du repos. Cela permet de sortir de la vision du repos comme moment de faiblesse : le repos correspond à un jour entier de la création divine, ce qui laisse imaginer ses propres potentialités créatrices mises entre les mains des hommes ! Mais « nous ne savons plus féconder l’ennui » comme l’écrit superbement Paul Valéry… Les diverses sagesses développées par les religions, les philosophies, les systèmes de pensée des nombreuses traditions que compte l’humanité sont particulièrement pertinentes et rafraîchissantes. Elles peuvent redynamiser des représentations qui se figent dans un seul sens à l’ère que nous appelons « moderne ». Paul Valéry déplorait dans son Bilan de l’intelligence que nous ne regardions « plus le passé comme un fils regarde son père, duquel il peut apprendre quelque chose, mais comme un homme fait regarde un enfant ». Sur la question du temps, des hommes qui ont vécu à une ère agraire où la survie et la prospérité dépendaient d’actions menées au moment adéquat, et à une ère où la conscience de la haute valeur du temps n’était pas confondue avec la mesure de la productivité, ont beaucoup à nous apprendre. Le travail sur les habitudes passe par un travail préalable sur les représentationsMon ambition ici n’est pas de livrer des recettes mais d’engager une réflexion sur nos représentations mentales. Ma vision est que le préalable à tout changement profond de ses actions est un changement de ses représentations. Les actions correspondantes s’élaboreront ensuite presque naturellement autour de ces représentations pour peu que l’on ait la patience de les méditer et de les intégrer. Cet article synthétique veut d’abord mettre en mouvement ces représentations pour créer les récipients mentaux favorables aux changements de comportements. Suivront d’autres articles précisant et élaborant autour des éléments évoqués ici dans un premier temps. La meilleure conclusion à cet écrit se trouve peut-être dans ces mots tellement lucides de Paul Valéry dans le Bilan de l’intelligence : « L’interruption, l’incohérence, la surprise sont des conditions ordinaires de notre vie. Elles sont même devenues de véritables besoins chez beaucoup d’individus dont l’esprit ne se nourrit plus, en quelque sorte, que de variations brusques et d’excitations toujours renouvelées. Les mots « sensationnel », « impressionnant », qu’on emploie couramment aujourd’hui, sont de ces mots qui peignent une époque. Nous ne supportons plus la durée. Nous ne savons plus féconder l’ennui. Notre nature a horreur du vide, — ce vide sur lequel les esprits de jadis savaient peindre les images de leurs idéaux, leurs Idées, au sens de Platon. » Guillaume Alliel, suivez son blog medium |
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