crédits: Denis Dupouy
Carte ou non : j’aime les tickets qu’on garde dans une poche de manteau sans les jeter. J’aime me pointer aux heures de pointe ; batailler, contourner, éviter, dans les couloirs bondés. J’aime suivre les pas d’un autre, et me fier au rythme lent, mais fiable, de l’inconnu. J’aime le parfum qui passe. J’aime le clochard, qui pue, mais qui sourit. J’aime le violoniste ; le guitariste ; le trompettiste, celui qui fait penser à un air de folk américaine, l’aventure des VV, celui qui joue Vivaldi, celui qui envoie du bon jazz. J’aime les comédiens, les saltimbanques, les beaux parleurs de l’heure de gloire, rhéteurs d’une demi-fortune. J’aime les entendre vibrer sur leurs discours, j’aime leur courage, leur regard, leur déchirement, leur talent. J’aime, métropolitain, ta vieille indifférence aux gueulades parisiennes. J’aime ton ancienneté et même ta modernité, celle-là, je l’aime bien. J’aime tes rames qui sonnent quand la porte se ferme, et ceux qui rentrent au dernier moment, intrépides. J’aime tromper ton rythme, tromper l’instant, tromper l’habitude, la monotonie, le quotidien. J’aime ce moment où tout s’arrête sur la ligne. J’aime la voix la voix du conducteur : « Patientez quelques instants. » J’aime ce moment où tout est noir, tout est fini, tu viens d’avaler notre angoisse. Tu vois cet instant ? J’aime ce moment où les deux métros se croisent à l’instant où l’on regarde. Il est 11h11, 12h12, 13h13. J’aime briser tes règles, casser la machine. J’aime la métro-attitude du parisien. Personne ne regarde, tout le monde voit. J’aime les regards fuyants, les moments désordonnés, j’aime sentir et palper l’agacement, la tension qui règne, parce qu’elle est signe de vie. J’aime croiser Paris, Paris dans le métro, Paris dans la présence, Paris sur leurs visages. J’aime ne pas les connaître, et jamais je ne les reverrai, mais l’espace d’un instant, j’aime leur visage, pur instant d’humanité. Oui, j’aime le métro poli teinté d’une certaine distance, culture du monde intérieur. J’aime pénétrer le monde de mon voisin, entrer dans sa petite boite, sa conscience, et imaginer. J’aime le regarder, chercher, deviner. J’aime ne pas trouver : j’en reste à mon énigme, qu’il garde son secret. J’aime rester debout quand je pourrais m’asseoir, pour mieux sentir le poids de la liberté. Il faut laisser sa place : attention et respect. J’aime être dans la première rame de la 1, et me laisser guider dans les couloirs. J’aime sentir le métro s’enfoncer dans les ténèbres, sortir dans la lumière. J’aime traverser la Seine en métro. J’aime rater ma station de métro. J’aime lâcher les mains dans le métro. J’aime les phrases de Picasso, de Rimbaud, de Prévert : « Paris est tout petit, pour ceux qui s’aiment, comme nous, d’un si grand amour. » J’aime être ivre dans le métro. J’aime voir le phénomène Métropolitain s’établir, s’engager, j’aime voir les interactions, les mouvements, la perception : « insociable sociabilité ». J’aime voir deux personnes assises l’une à côté de l’autre, qui formeraient un couple magnifique, mais qui ne s’adressent pas un mot. J’aime parler à quelqu’un dans le métro. J’aime qu’on me parle dans le métro. J’aime voir un enfant jouer dans les bras de sa mère. J’aime voir quelqu’un partir en voyage. J’aime voir le mélomane écouter sa musique en dansant. J’aime le métro, pour ses plus grandes extravagances ; j’aime le métro, pour sa conformité. On sait celui qui va travailler, celui qui va étudier, celui qui va s’amuser. Mais on oublie celui qui va chez le psy, celui qui va à l’hôpital, celui qui va chez sa copine, celui qui va voir sa sœur : que d’histoires… Dans le métro, j’aime que tout soit visible, et même l’invisible, il faut savoir le sentir. J’aime cette absence de mots, par laquelle on voit tout silencieusement. J’aime les barbus, les chauves, les blondes, les brunes, les jeunes, les vieux, cette tyrannie de la face humaine qui est pourtant la seule chose qui nous unisse. J’aime sentir qu’on se regarde, qu’on se comprend, qu’on partage. J’aime ceux qui disent qu’ils n’aiment pas le métro poli teinté d’extravagance. Moi aussi, parfois, je ne l’aime pas. Et alors, je n’aime rien. Et quand j’aime le métro poli teinté de folie, j’aime tout. J’aime Paris, difforme, compacte, différente, unifiée, diverse, spirituelle, charnelle, transpirante, fatiguée, déboussolée, humide, froide, écarlate, souriante, amusée. J’aime notre métro. J’aime, mais trop, j’en ai bien conscience. Mettre haut : j’aime, à bout de forces, m’endormir sur une ligne. Comète rose, j’aime porter l’image de ta folie, de ce délire. J’aime me dire dans le métro : lui, il est fou. J’aime voir des gens s’embrasser, se rapprocher, se tenir ensemble. J’aime les gens présents, ceux qui assument, métronomiquement. J’aime cette mesure, ce mètre aux larges proportions. J’aime la carte du métro : on dirait une chasse aux trésors. J’aime voir les belles femmes et me dire : elle est passée dans ma vie. Dans le métro, j’aime les audacieux, les audacieuses, les réprouvés de la loi du métro poli teinté d’extravagance. J’aime ceux et celles qui draguent, les regards entrecroisés. Ah ! J’aime cette fille, en face de moi, à qui je ne pourrai pas parler. J’aime cette tension du désir, publique, manifeste, mais étouffée, gardée, protégée. J’aime ses cheveux bruns, son jean, ses lèvres, j’aime son côté rive droite. J’aime ses yeux qui se lèvent. J’aime sourire (j’ai l’air con), me lever, partir, et laisser l’apparition s’envoler. J’aime les luttes intérieures des gens en couple : « Je ne peux pas regarder. Elle est belle. C’est le métro, il ne se passera rien. » J’aime ces grandes gueulades intérieures, parce qu’il faut beaucoup regarder pour les entendre. Je crois que j’aime le métro, parce qu’il est nécessaire : amor fati. J’aime la minute d’attente à Kléber, les couloirs de République, la poésie des Filles aux calvaires, être saoul aux Grands Boulevards, l’abysse des Abbesses, la Nation erratique, le Gainsbourg des Lilas, la Scène après Bastille. Ouais, j’M. Clément Grenier Crédits photo : © Edouardo Luca
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Juin 2017
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