En 2010, un journal titrait : « Usain Bolt, l’extraordinaire est sa mesure », laissant penser qu’il fait partie du cercle fermé des dépositaires d’un don divin. Mais ne serait-ce pas les Jeux Olympiques qui seraient le premier coupable de cette fausse idée que l’extraordinaire n’est pas accessible au commun des mortels ? Car derrière l’instantanéité de l’effort et l’immédiateté de la victoire mis en scène par les Jeux et relayés par les médias, se cachent des années de préparation, de sueur et de labeur motivées par la réussite. Ces efforts et ces sacrifices sont jugés devant l’autel de l’immédiateté, justifiant l’assise de l’extraordinaire et lui donnant un pouvoir illégitime et trompeur. En effet, soit la victoire confère plus d’éclat qu’il n'en faut à ces années de travail placées sous le signe de la souffrance ou de la joie ; soit la défaite les relègue dans les confins de la mémoire de l’athlète et dans le vide de la mémoire collective. Alors oui, il existe des capacités naturelles - innées - qui favorisent l’extraordinaire de chaque individu ; mais non, il ne faut pas oublier le travail, la volonté, les techniques - l’éducation - mis en place par l’individu, en complément ou en compensation de son capital naturel, pour atteindre le temps de quelques secondes l’Olympe de ces athlètes : l’extraordinaire.
L’extraordinaire, véhiculée par les Jeux Olympiques, relève d’une illusion. Ou plutôt une tromperie, car il induit le spectateur dans l’erreur, lui faisant croire injustement que lui-même ne peut être dépositaire de cet extraordinaire et qu’il n’appartient qu’à la panacée des athlètes tels qu’Usain Bolt, Michael Phelps ou Teddy Riner ; ou, plus généralement, à ceux dont le capital naturel est suffisamment élevé pour permettre de tels exploits. Ce sont des héros, semblables à des dieux (theoeidês d’après l’épithète homérique), dont le besoin pour les sociétés est séculaire. Dans La vie de Galilée de Bertolt Brecht, n’est-ce pas le fameux savant qui s’exclame : « Malheureux le pays qui a besoin de héros ! » ? Ceux-ci véhiculent en effet les idéaux les plus chers au concept d’inégalité et auxquels peuvent s’aliéner à l’extrême les peuples (durant l’URSS avec Alexis Stakhanov par exemple). Cependant, ceux-là même qui se revendiquent de l’extraordinaire sont seulement des individus ordinaires vouant un culte sans borne à l’exploit, la réussite et, par dessus tout, à l’excellence. Si alors « ce n'est pas dans les choses extraordinaires […] que se trouve l’excellence » (Blaise Pascal, Pensées), où réside-t-elle donc ? Chacun peut accéder à cette excellence travestie en extraordinaire du fait des différents relais appartenant à la culture médiatique, et du fait de la ferveur populaire accordée à l’exploit. L’extraordinaire véhiculé par les Jeux n’est que la photographie à un instant donné de l’excellence d’un athlète. Mais si cette excellence apparaît de manière innée chez certains individus, il serait illusoire d’estimer qu’elle ne puisse s’acquérirtechniquement. Les entraînements à répétition, les sacrifices personnels, le goût de l’effort, la peur de la défaite sont autant de facteurs qui permettent aux sportifs de les conduire à l’excellence. In fine, elle est le fruit d’une éducation spécifique. Dans son grand livre Paideia (1934),Werner Jaeger retrace un aspect de l’éducation des individus en Grèce antique qui visait à atteindre le modèle du kalos kagathos, l’homme beau et bon, qui implique l’idée d’excellence. D'après Werner Jaeger, « l'arété (l’excellence) est l'idéal central de toute la culture grecque ». On ne naît pas excellent, on le devient. Chacun peut donc atteindre l’extraordinaire ; seulement, notre raison et notre amour du sport ne doivent pas nous tromper durant ces Jeux. Il faut être lucide et ne pas penser que l’extraordinaire n’appartient qu’aux autres, à des athlètes qui possèderaient des capacités naturelles, car en ces temps olympiques, l’immédiateté nous le fait bien croire comme tel. Il s’agit d’une excellence dissimulée qui appartient à chacun d’entre nous et qu’il nous faut cultiver, afin de se situer au-dessus de la mêlée. Tom Caillet
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Juin 2017
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