"Et sinon, pourquoi ne voulez-vous pas travailler dans le luxe ?" Je ne sais pas, mais c’est une bonne question. Peut-être, parce que sur mon CV ne figure aucune expérience dans le luxe. Peut-être que cela a à voir avec le fait que j’ai intégré la meilleure école de commerce de France, et pas la meilleure école de mode. Ou encore, peut-être bien que c’est parce qu’on est en plein entretien pour un stage en finance, que sur mon CV ne figurent que des expériences en finance et que je n’ai jamais parlé de luxe. Pas à un seul moment de l’entretien qui dure depuis maintenant une heure. Que le seul lien entre moi et le luxe est qu’en bas de mon CV est inscrit que je faisais partie de l’association de mode à HEC, comme trois autres activités extracurriculaires qui elles n’intéressent mon interviewer. Et que cet élément n’est pas là pour mettre en valeur que j’aime lire Vogue à mes heures perdues, mais que j’ai levé des fonds et trouvé des sponsors pour organiser un événement, aptitude qui peut faire sa différence quant à ma candidature. Si tenté soit-il que l’on ne fasse pas de raccourci stupide. Je ne suis pas féministe, mais je commence à être agacée. Je me sens obligée de m’en expliquer parce qu’il est de plus en plus difficile de parler des problèmes liés au genre, surtout quand on est une femme, et ce parce que le raccourci entre femme et féministe est rapide. Et alors, me direz-vous ? Ces dernières années le féminisme a pris une connotation péjorative – comme si défendre la cause des femmes faisait de celles qui le font des personnes virulentes dans le meilleur des cas et hystériques ou folles dans le pire. Je n’ai rien contre les féministes, mais je n’ai pas la prétention d’en être une. Je ne suis pas féministe. J’aime la différence fondamentale que l’on fait entre les hommes et les femmes. J’aime la galanterie, j’aime qu’on me tienne la porte, j’aime l’idée selon laquelle un garçon doit traiter une femme avec respect, justement parce que c’est une femme. Je ne suis pas féministe. Mais je suis convaincue que je me suis toujours battue autant, voire plus, que mes amis garçons pour arriver là où j’en suis aujourd’hui. Je ne suis pas féministe. Pas du tout féministe. Mais je suis exaspérée à un point inimaginable par les comportements qui me réduisent à mon genre. Cette question m’est posée à un entretien sur deux. Je garde le sourire, et j’explique que ce n’est tout simplement pas ce que je veux faire. Que ce n’est pas ce pour quoi je postule. Qu’un centre d’intérêt peut être un hobbie sans être la ligne directrice d’une carrière. Mais à chaque fois, je ne peux m’empêcher de me dire, dans ma tête, « et si c’était un garçon à ma place, et qu’il avait mentionné faire partie du club de foot à HEC, lui demanderiez-vous pourquoi il ne veut pas devenir footballer ? ». Poursuivons l’entretien. Arrive enfin le moment tant attendu des questions techniques. Je les connais toutes, j’y réponds. L’interviewer a l’air content, il enchaine sur un cas pratique. Donc tu prends par exemple une entreprise qui fait… Moment d’hésitation de sa part : pourquoi pas des composants chimiques, comme la dernière entreprise dans laquelle l’entreprise pour laquelle je postule a investi ? du maquillage … Et disons qu’elle commande à son fournisseur, je ne sais pas, de la poudre… La question prend par la suite la tournure d’une question de finance, et j’y réponds. Néanmoins je ne peux m’empêcher de relever, parce que je trouve ça triste qu’en 2016, on pense systématiquement luxe et maquillage lorsque l’on s’adresse à une candidate et non à un candidat. Je trouve ça dommage qu’à mon stage précédent, dans une banque de renommée internationale, sur un étage de 50 personnes, seules deux aient été des femmes. Et qu’il y soit donc normal, de faire des blagues – d’un gout discutable – sur les femmes sans se gêner. Ou qu’on m’envoie des mails avec une pièce jointe et un : « Tu m’imprimes ça ma jolie ? » Je trouve ça dommage pour la société, que lors de mes 15 derniers entretiens en fonds d’investissements, je n’ai rencontré qu’une seule femme, en dehors des assistantes. Et qu’un interviewer ait pourtant osé me dire que « être une femme peut être un avantage dans ce métier ». Alors qu’historiquement, ils n’en ont jamais engagé aucune dans le fond pour lequel il travaille. Une inégalité qui a souvent été une norme L’inégalité homme-femme, vaste sujet, mais surtout vieux sujet. L’origine de cette inégalité est ancrée dans notre culture et elle est à la fois historique, religieuse et culturelle. En effet, les cultures judéo-chrétiennes, la bible, la Grèce ancienne, et les civilisations arabo-musulmanes ont une vision différente et inégalitaire en ce qui concerne l’homme et la femme. Pour exemple, la Grèce antique voit de fait la femme comme en charge de l’intérieur de la maison (donc principalement des enfants et des travaux ménagers) tandis que l’homme lui, sort et va faire de la politique, la guerre, etc. Il est, lui, en charge de l’extérieur. Dans la bible, la femme est là encore dépeinte comme née de la côte de l’homme, en second : Dieu créa d’abord l’homme, puis la femme. Et elle devient très vite, avec la chute, source des malheurs des hommes. Cette culture de l’inégalité des genres a trouvé un parallèle dans la culture juridique où les textes codifient la dépendance de la femme à l’homme. Pour ne citer qu’un exemple, le Code Napoléon de 1804 définit clairement la place de la citoyenne dans la société à l’article 1124: “Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux.”. La France est le pays des droits de l’homme dès 1789, mais ne deviendra que bien plus tard un pays des droits de la femme et on constate que la transition vers les systèmes démocratiques n’a jamais donné lieu à un droit de vote mixte de prime abord. Aucun pays n’accordera en même temps aux hommes et aux femmes le droit de voter. Des incompréhensions : Once you are in, it does not necessarily get better. Les sociétés occidentales se battent certes pour une égalité homme-femme complète et multiplient les lois pour aller dans ce sens. Même si c’est positif, c’est triste en un sens qu’on en arrive à parler de quotas. Je m’adresse à nos lecteurs masculins, auriez-vous envie d’être un quota ? Si je conçois que soulever le problème et en parler nécessite de la part des hommes un effort de transposition, je trouve que cet effort n’est pas assez effectué ; qu’il est plus facile quelques fois pour les uns de s’identifier à des gens à l’autre bout du monde, vivant dans des sociétés complètement différentes, avec des problèmes auxquels ils ne seraient jamais confrontés, qu’à leurs homologues féminins. Quel meilleur exemple que l’art et les médias ? Prenons n’importe quel(le) livre, film, série : que le personnage éponyme, que l’interprète ou que l’héroïne soit une femme, d’emblée – et qu’importe le contexte – cela devient un livre, un film ou une série de filles. La réciproque n’est pas pour autant vraie. Ce phénomène est assez parlant et montre qu’il est difficile pour un homme de s’identifier à une femme en général. Ce qui mène à une moindre reconnaissance des talents féminins, en témoigne le scandale d’Angoulême de l’an passé. De cela découle un sentiment d’incompréhension lorsque l’on parle de sexisme à un homme, qui a certes pas toujours, mais néanmoins trop souvent tendance à amoindrir les choses. Il faut se rendre à l’évidence, les hommes ont souvent du mal à comprendre le sentiment de malaise que peut ressentir une femme qui se fait aborder dans la rue si elle n’a pas de raison de se sentir en insécurité. On admet volontiers que les femmes sont des cibles plus vulnérables aux agressions, mais on a plus de mal à reconnaitre que le harcèlement de rue est un problème réel. Un commentaire sexiste est souvent entendu par l’autre genre comme un compliment, une remarque flatteuse, alors qu’elle est souvent vécue comme une intrusion, comme une tentative de proximité indue. Donc oui, en soit, ce n’est pas la mer à boire. Je devrais peut-être m’estimer heureuse qu’on m’appelle ma jolie et pas mon hideuse au travail. Mais pourquoi est-ce qu’on me parle de mon apparence à moi et pas à mes collègues ? Pourquoi est-ce que quand un collègue fait une slide qui ne convient pas, on lui demande de la refaire, point, alors que quand il s’agit d’une des miennes, on m’explique qu’elle fait trop « Barbie » (bien qu’elle respecte la charte graphique de la banque) ? Pourquoi est-ce que je devrais supporter de me faire draguer sur mon lieu de travail par un supérieur marié et père de famille alors que mes collègues ne connaitront jamais cette gêne ? Ce n’est pas si grave, mais ces comportements sont ancrés dans les mœurs et continuent à contribuer au fait qu’il reste difficile, quand bien même on fait passer des lois, et quand bien même on pense à imposer des quotas, pour une femme de se sentir égale à un homme sur son lieu de travail. Aime le connard mais méprise la salope - ce n’est pas que de la faute des hommes
De mon point de vue, le problème est indéniablement un problème de société. Je le pense dû à un décalage certain entre l’évolution des mœurs, des lois, et des mentalités. Et cela n’est pas propre aux hommes. J’ai vu autant de femmes que d’hommes choquées de me savoir en finance dans des postes à hautes responsabilités et aux horaires impossibles, du fait de ma condition féminine. Les autres femmes sont premières sur le discours moralisateur du « mais quand même, tu as pensé un peu à ta future vie de famille ? Pour un homme ok, mais toi tu vas être maman un jour, comment tu crois que tu vas te débrouiller ? ». Et, si je ne me suis pas souvent faite accoster par des femmes dans la rue, j’ai néanmoins trop souvent entendu des femmes critiquer les tenues des unes et des autres, insulter les filles qui s’affichent comme ayant des « mœurs légères » tandis que les mêmes instigatrice de ces critiques tombent dans les bras du premier venu qui ait le même genre de comportement. Deux poids, deux mesures, disent-elles ? Il faut l’admettre, nous sommes les premières à nous freiner dans notre ascension vers le succès. C’est ancré en nous, le contexte a transféré, et nous ne nous considérons pas pleinement comme ayant droit à autant de liberté, pour ne parler que de ça, que les hommes. Aime le connard mais méprise la salope, c’est un peu le leitmotiv des femmes en 2016, qu’elles l’admettent ou non. Si la prépondérance des réseaux sociaux permet et mène de plus en plus de femmes à publier des clichés d’elles de plus en plus dénudées, ce n’est que pour affirmer une liberté qu’elles sentent trop fragile. Comparons. Qui serait choqué de voir un homme torse nu sur Instagram ? Pas grand monde. Mais pourquoi n’a-t-on alors pas de déferlement de photos d’hommes dénudés du haut sur les réseaux sociaux ? Ils n’en ressentent tout simplement pas le besoin. Ils ont le droit, pas nous. Si nous nous sentions pleinement en droit de faire ce que l’on veut de notre corps, alors pourquoi nous appellerions-nous les unes les autres si facilement des filles faciles ? La rivalité purement féminine pour plaire aux hommes n’est-elle finalement pas l’expression d’une rivalité aux hommes pour obtenir autant de liberté qu’eux ? Je pense que finalement, on ne se bat jamais pour l’attention des garçons, mais bien pour se prouver qu’on a autant de liberté qu’eux et finalement être leur égal. Il est toutefois malheureux que cela nous pousse à se juger les unes les autres. La morale de cet article J’ai eu beaucoup de mal à trouver la suite de cet article, parce que je lui cherchais une sorte de morale. Comme si en écrivant je voulais répondre à la question qui aurait été ma problématique idéale : du coup, on fait quoi ? Je ne pense pas qu’il y ait de solution, seul le temps fera les choses, il faut simplement que les mentalités s’adaptent aux mœurs et aux lois. Et c’est un processus qui met du temps et qui progresse un peu plus chaque jour. Les comportements normaux d’hier sont anormaux aujourd’hui, et les inégalités d’aujourd’hui seront illégales demain. J’aurais aimé voir cet article écrit par un homme, mais comme je l’expliquais plus haut, mon ressenti est qu’il est assez improbable de voir un homme se lever pour défendre la cause des femmes - en tout cas je demande à mes lecteurs un petit effort de transposition. Je l’ai dit plus haut, je ne suis pas féministe. Je n’ai pas le sentiment de me croire représentative ou défenseuse de la cause de toutes les femmes, je partage juste un ressenti. Je ne parle au nom de personne, mais je parle à tous, donc si des choses vous interpellent, l’équipe de l’objectif serait heureuse de voir éclore un débat ! Une jeune femme moderne.
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Juin 2017
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