La France est, et demeure, un pays riche. Mais c’est un pays riche où, selon l’observatoire des inégalités, cinq millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à 50% du revenu médian, soit un peu plus de 820 euros pour une personne seule. C’est aussi un pays qui croit à l’égalité des chances, mais où les perspectives d’avenir d’un enfant dépendent avant tout du revenu et de l’éducation de ses parents. Un pays où l’école républicaine perpétue les origines sociales. Un pays où l’égalité devant la loi est un principe fondamental, mais où les puissants parviennent trop souvent, et trop longtemps, à échapper à la justice. Un pays, aussi, qui croit à l’équité, mais où les super-riches et les grandes entreprises ont les incitations et les moyens de contourner la loi, notamment en matière fiscale, afin de payer le moins d’impôts possible. Il est temps de regarder la réalité en face : la France n’est pas – ou n’est plus – la société égalitaire qu’elle croyait être. L’inégalité, notamment celle des revenus, augmente : l’écart de revenu entre le premier décile et le dernier décile s’est creusé de 4600 euros entre 2003 et 2013.
Certains regardent l’inégalité des revenus avec fatalité, voire avec indifférence. Au fond, l’un perd, l’autre gagne : quelle importance ? Le plus important, disent-ils, c’est la taille du gâteau : faisons-en sorte que l’économie reparte, aidons les entreprises, et tous en profiteront. Au Etats-Unis, le président Kennedy répétait souvent que « la marée montante soulève tous les bateaux ». Autrement dit, nous devrions nous réjouir que les revenus des grandes entreprises ainsi que des individus les plus riches augmentent, car leurs dépenses donneront du travail à tout le monde. Pourtant, la théorie économique du ruissèlement par le haut a fait son temps, et notre pays a peu de chances de réussir à long terme s’il laisse les inégalités se développer entre les citoyens. Ne nous-y trompons pas : le débat sur l’inégalité ne se limite pas à la détermination du revenu que l’on estime juste pour chacun. Il porte en réalité sur la nature de notre société, sur l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes, et sur l’image que les autres ont de nous. Car, de façon générale, dans un pays où l’inégalité croit, l’équité perçue par chacun n’est pas seulement une question de salaire, de revenu, ou de fortune. C’est en fait une perception beaucoup plus générale. En tant qu’individu, ai-je ou non un intérêt dans l’orientation que prend la société ? Ai-je une part des bénéfices tirés de l’action collective ? Ai-je une chance raisonnable de voir mes efforts récompensés ? Chez ceux pour qui la réponse à ces questions est négative, l’on peut s’attendre à une démotivation profonde, dont les répercussions, mises bout à bout, se font sentir dans l’économie, mais aussi la vie civique sous toutes ses formes. Certes, la France n’est pas le pays développé où le niveau d’inégalité est le plus haut, loin s’en faut. Avec un coefficient de Gini de 0,327 (qui mesure les inégalités sur une échelle de 0 à 1), la France est en meilleure position que certains autres pays développés, comme le Royaume-Uni (0,36) ou encore les Etats-Unis (0,411). Cela n’est pas un hasard : cette situation est due à un système fiscal plus juste, qui redistribue mieux les richesses, ainsi que de meilleurs mécanismes de sécurité sociale. En un mot, cela s’explique en partie par un Etat plus fort. Cependant, la France n’est qu’en 18e position des pays européens les plus égalitaires, loin derrière le Danemark, dont le coefficient de Gini n’est que de 0,25, ce qui en fait le pays le plus égalitaire du monde. En France, comme dans d’autres pays, l’inégalité a de nombreuses dimensions. Il y a, bien sûr, l’inégalité des revenus. Mais il existe aussi des inégalités dans la santé et dans l’éducation – le système scolaire Français est régulièrement classé parmi les plus inégalitaires de l’OCDE – ou encore l’inégalité dans l’expression et le poids politique, ainsi qu’entre les sexes et entre les races – la discrimination raciale de fait est une réalité qui ne peut être niée. L’un des enjeux les plus importants, cependant, est sans doute l’égalité des chances, et il est profondément lié à tous les autres. Donner à chacun une chance équitable de réussir dans la vie est sans doute l’un des meilleurs marqueurs de l’égalité au sein d’une société. Pourtant, même en France, l’inégalité des chances se joue dès l’enfance, voire même avant la naissance. Malgré tous les filets sociaux destinés à l’enfance, l’inégalité et la pauvreté chez les enfants demeure bien réelle. C’est une indignité morale toute particulière. Elle invalide la thèse libérale selon laquelle la pauvreté et l’échec sont le résultat de la paresse et des mauvais choix : les enfants ne peuvent pas choisir leurs parents, et l’inégalité qui pèse sur un enfant le suivra tout au long de sa vie. Il est vrai, cependant, que l’accroissement de l’inégalité des revenus et de la fortune s’inscrit dans une tendance observée dans la plupart des pays occidentaux. Une étude réalisée en 2011 par l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques) a montré qu’à l’origine, l’inégalité des revenus s’est mise à augmenter à partir de la fin des années 1970 et du début des années 1980 en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, puis s’est propagée à d’autres pays à partir de la fin des années 1980. Cela n’est sans doute pas un hasard. L’inégalité a commencé à croitre en même temps que l’assouplissement des règlementations dans le secteur financier. La mondialisation asymétrique a également fait des ravages, parce que la mobilité du capital entraine la mise en concurrence des salariés, et par-là même une course au moins-disant social. Mais l’inégalité s’est surtout aggravée partout en Europe parce que nous avons sous-investi dans nos infrastructures, dans notre système de protection sociale, et dans la formation et l’éducation de nos enfants. De ce point de vue, les politiques d’austérité menées sur le continent sont un réel problème. Elles reposent sur le constat erroné que les difficultés économiques de l’Europe viennent d’un excès de dépenses sociales. Ce raisonnement n’a pourtant fait que diviser l’Europe et la plonger dans la récession. Et ce sont des millions d’européens qui en ont fait les frais. Aujourd’hui encore, de nombreux politiques appellent à persévérer dans cette voie. Ce sont des mesures difficiles, disent-ils, mais qui ramèneront la prospérité en Europe. Mais la prospérité pour qui ? Il nous faut ici prendre garde : le niveau d’inégalité que connaît un pays est le reflet de l’équilibre des forces politiques et économiques qui l’animent. Toute modification de cet équilibre – comme peut le faire, par exemple, l’adoption d’une loi – a donc une influence sur ledit niveau d’inégalité. C’est pourquoi nous devons prendre garde à ne pas favoriser la montée de l’inégalité par nos politiques. Prenons un seul exemple : les réductions d’impôts aux entreprises du CICE et du pacte de responsabilité, pourtant destinées à relancer l’activité économique, ont avant tout profité aux grandes entreprises, qui n’en avaient pourtant pas besoin. Or, c’est le contribuable qui a payé. En résulte un transfert de richesse de la base vers le sommet, et donc un accroissement de l’inégalité. Mais alors, comment en sommes-nous arrivés-là ? Comment avons-nous pu laisser prospérer de telles inégalités ? Ce n’est pas une surprise : c’est ce qui arrive quand la répartition de la fortune devient déséquilibrée. Car plus une société se divise sur les écarts de richesse, plus les riches rechignent à dépenser leur argent pour le bien commun, puisqu’ils n’ont plus besoin de l’Etat pour leur offrir des soins, une éducation de qualité à leurs enfants, ni même pour garantir leur sécurité. Ils peuvent s’acheter tout cela eux-mêmes. Ce faisant, ils s’éloignent de la majorité de la population et perdent l’empathie qu’ils auraient pu avoir pour elle en d’autres temps. En s’en éloignant, ils usent de toute leur influence pour tirer la situation à leur avantage et contribuer le moins possible. Les riches peuvent, grâce à leur argent, manipuler la presse ou influencer les élus. C’est pratiquement inévitable, mais jusqu’à quel point ? Nous avons-là affaire à un cercle vicieux : l’inégalité économique entraine l’inégalité politique, qui elle-même renforce à son tour l’inégalité économique. Pourtant, rien de tout cela n’est fatal : l’inégalité est un choix, et nous pouvons en faire d’autres. Il est grand temps d’investir à nouveau dans l’avenir de nos enfants, dans nos infrastructures, ou encore dans notre système de protection sociale. C’est d’abord une obligation morale : nous nous devons de donner à chacun sa chance de réussir dans la vie. Mais il en va également de la cohésion nationale, car dans une société où les inégalités sont telles que chacun a conscience que le jeu est truqué, il ne peut exister aucune confiance dans la communauté. Combattre les inégalités est un objectif louable, diront certains, mais, affirment-ils, nous n’en avons pas les moyens. Pourtant, tout est une question de choix. L’évasion fiscale des grandes entreprises, à elle seule, coûte ainsi entre soixante et quatre-vingt milliards d’euros à notre pays. C’est bien plus que le déficit budgétaire de la France. Il est temps d’y mettre fin. Reste que pour enfin parvenir à réduire les inégalités, il nous faudra d’abord dynamiter notre système politique actuel. De fait, la faiblesse de la réaction politique à l’affaire des « Panama papers » montre à quel point notre représentation nationale est dépendante du lobby financier, et incapable de prendre les mesures qui s’imposent en l’état. Je l’ai déja dit, il y a là un cercle vicieux qu’il nous faudra briser en changeant les règles du jeu politique. Je n’ai pas toutes les réponses, mais nul doute que des mesures comme l’introduction du non cumul des mandats, l’instauration de la démocratie participative, ou encore du vote obligatoire, peuvent y contribuer. Paul Enjolras
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Juin 2017
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