’Âge d’or islamique est une période de six siècles (VIIIe – XIIIe) extrêmement riche sur les plans scientifique, culturel, philosophique, technologique… Même contestée sur plusieurs points, la grandeur de cette période fut un catalyseur indispensable pour le développement du Moyen-Orient, mais aussi de l’Occident. Le Moyen-Orient peut-il aujourd’hui, ou dans les temps à venir, retrouver un semblant d’Âge d’or et inspirer le reste du monde, ou est-il condamné à un Âge de fer ? Si le mythe de l’Âge de fer est d’origine grecque, il n’est pas absurde de le transposer à la période que traverse actuellement le Moyen-Orient. C’est en effet dans Les Travaux et les Jours que Hésiode expose les différents âges de l’humanité : l’âge d’or, l’âge d’argent, l’âge d’airain et l’âge de fer. Ce dernier se caractérise par un chaos empli d’excès et de crimes, où la justice est absente : « L’un ravagera la cité de l’autre ; on ne respectera ni la foi des serments, ni la justice, ni la vertu ; on honorera de préférence l’homme vicieux et insolent ; l’équité et la pudeur ne seront plus en usage ; le méchant outragera le mortel vertueux par des discours pleins d’astuce auxquels il joindra le parjure […] ; il ne restera plus aux mortels que les chagrins dévorants, et leurs maux seront irrémédiables. » Bien que ce parallèle soit à nuancer, on peut en tirer plusieurs enseignements et, surtout, étudier en quoi la situation contemporaine du Moyen-Orient y fait écho. En premier lieu, si l’on adopte le point de vue démocratique occidental – qui est partagé par une partie non négligeable de la population locale, comme l’ont rappelé entre autre les Printemps arabes -, la naissance de l’Organisation État islamique (OEI), son expansion et sa capacité à entrer en conflit avec les valeurs défendues par l’Occident en font la raison majeure de ce retour au chaos décrit par Hésiode. La destruction de cités par l’OEI (Palmyre, Nimroud, Mossoul…) s’inscrit en effet pleinement dans la négation de l’Âge d’or. Ces villes, symboles d’une richesse culturelle, scientifique et humaine, étaient les places fortes des différents empires de la période faste de la région. La ville de Hatra, détruite, était par exemple classée au patrimoine mondial de l’Unesco et avait « des vestiges [qui] témoignaient de la grandeur de sa civilisation » (Unesco). Si les villes-symboles sont détruites, ce sont également des nœuds sociaux qui se délitent, l’appauvrissement des relations sociales qui apparaît, et la perte d’une chance unique de faire vivre une effervescence scientifique, philosophique et culturelle (Palmyre, l’irremplaçable trésor, Paul Veyne). Un autre aspect décrit par Hésiode est le conflit religieux joint à la négation de la justice. En cela, les exemples contemporains sont malheureusement très – trop – nombreux : les tensions frontalières entre l’Irak et l’Iran durant la Guerre du Golfe du temps de Saddam Hussein, les conflits internes à l’Arabie saoudite entre le pouvoir sunnite et les chiites duodécimains de la province du Hasa, l’émergence de milices claniques ou politiques… Cette énumération pourrait s’allonger, mais elle témoigne déjà de l’importance de la religion et des croyances dans le désordre qui sévit au Moyen-Orient actuellement (démontré notamment par Gilles Kepel).
Compte tenu des difficultés à résoudre ces conflits, ou du moins à les apaiser, ces tensions semblent insolubles et compliquent un peu plus la situation moyen-orientale contemporaine : l’impossible paix israélo-palestinienne, les cessez-le-feu non appliqués en Syrie (notamment celui de février 2016), l’escalade diplomatique entre l’Arabie saoudite et l’Iran (suite à l’incident de la Mecque), etc. Quant à la négation de la justice, elle va de pair avec l’absence d’État de droit – voire même à la présence d’États faillis. La stabilisation d’une région, où règne l’ordre et la justice – qui demeure néanmoins relative à l’État -, est une condition sine qua non pour parvenir à l’émergence d’un Âge d’or : « Facteur stabilisateur, l’État forme une institution qui contribue au maintien d’un ordre à la fois géographique, social, politique et juridique. » (Les États faillis et le terrorisme transnational, Kamal Bayramzadeh) Or, les États moyen-orientaux actuellement les plus en difficultés, et où le désordre règne, sont sans aucun doute ceux où la justice est arbitraire voire inexistante, notamment en Syrie et en Irak. L’État représente avant tout la personnification juridique d’une nation et est garant de la justice. L’État failli est donc un frein à un Âge d’or islamique et bien le terreau à l’Âge de fer selon les critères proposés par Hésiode. Dans sa définition de l’Âge de fer, Hésiode parle des « chagrins dévorants ». Là encore, ce sombre tableau trouve ses couleurs dans les événements contemporains du Moyen-Orient. Les réfugiés, les déplacés, les victimes de guerre, les civils et les familles en deuil en sont des exemples. Réfugiés syriens à Erbil dans le Kurdistan irakien / Flickr De « l’impossible comptage des victimes » en Syrie (Libération) au presque 20 millions de personnes déplacées par les conflits en Syrie, Yémen et Irak, ces chagrins innombrables fruits des guerres et des tensions sont propices à un climat où règnent la peur, la tristesse et le désespoir. Aujourd’hui, le Moyen-Orient est la région du monde qui concentre le plus de ces maux avec l’Afrique. Autant de caractéristiques, donc, que l’on retrouve dans la description de l’Âge de fer proposée par Hésiode. Enfin, les nombreuses ingérences et influences étrangères au Moyen-Orient constituent une autre faiblesse caractéristique d’un Âge de fer redéfini. Ne pouvant se suffire à lui-même, ne pouvant gérer et résoudre les problèmes auxquels il doit faire face, le Moyen-Orient est en proie à la prédation d’acteurs exogènes qui influent sur son destin : l’Europe à travers les accords Sykes-Picot, les États-Unis dans les années 1990 et 2000, le retour de la Russie récemment, etc. Ainsi, Kamal Bayramzadeh résume de la sorte la situation actuelle que nous avons qualifié d’ « Âge de fer » : « Le Moyen-Orient se trouve dans une situation de crise profonde marquée par la déstabilisation de plusieurs pays, l’aggravation de l’insécurité régionale, le risque de conflits religieux et, finalement, une possibilité de balkanisation. » Pour autant, ce tableau noir ne doit pas reléguer dans l’oubli certains aspects louables : « Toutefois quelques biens se mêleront à tant de maux. » (Les Travaux et les Jours, Hésiode) En effet, il s’agit d’apporter un regard critique sur la situation du Moyen-Orient que nous avons défini : s’il se trouve en effet dans une mauvaise passe qualifiée d’Âge de fer, il ne fait pas l’ombre d’un doute que le souvenir de l’Âge d’or islamique hante de nombreux acteurs de cette région. Il reste ainsi l’un des fondements de l’idéologie contemporaine du panislamisme ou du panarabisme. Dès lors, regarder la situation du Moyen-Orient à la lumière de l’analyse occidentale de Hésiode permet en effet d’y déceler des dynamiques qui passeraient inaperçues autrement. Tom Caillet
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Juin 2017
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