L'Objectif
  • Home
  • Actualité
  • économie
  • Formes littéraires libres
  • Style
  • UNDRGLOBE
  • Lifestyle
  • Musique
  • Contact
    • Accueil
  • Interviews
  • Je Contribue

L’enchantement divin de la vengeance

3/15/2017

0 Commentaires

 
Photo
La vengeance populaire après la prise de la Bastille / Auteur : Charles Paul Landon en 1794
« Quand naissent les blessures et humiliations de l’être, les frustrations et désillusions de la vie, la
force du désir individuel, outrepassant la mesure, se fait l'autre de la raison : alors la vengeance
devient désir furieux, à l'origine de représailles punitives et belliqueuses. »


Raymond Verdier, Vengeance

Définitions

La notion de vengeance fait partie de ces concepts dont on croit savoir à quoi il se réfère,
mais dont on ne saurait précisément définir sa nature, son origine et ses aspects éthiques.
Lorsque l’on pense à la vengeance, une autre notion apparaît de fait : celle de la revanche. Or, ces
deux concepts sont bel et bien distincts. S’ils sont issus de la même racine étymologique - du latin
vindicare, réclamer justice -, une variante s’opère dans le sens commun donné à ces deux
concepts, et une distinction majeure apparaît lorsque l’on étudie la notion de vengeance à travers
différents prismes, notamment religieux et antique.
Dans ses acceptions communes, la revanche est : 1) « l’action de rendre la pareille pour un
mal que l’on a reçu » (Dictionnaire Larousse) et 2) la « seconde partie que l’on joue pour donner
au perdant la possibilité de gagner à son tour » (Dictionnaire Larousse). Des similitudes et
différences peuvent être notées en comparaison de la définition de la vengeance : « action de
procurer la réparation d’une offense en punissant l’auteur » (Dictionnaire Larousse). La vengeance
est donc issue d’une offense reçue, à distinguer d’un mal. L’offense est une injure, c’est-à-dire
qu’elle trouve sa racine dans une mise à mal de l’égo ou de l’honneur, alors qu’un mal est bien
plus général et recouvre différents champs. La vengeance implique alors un châtiment, a contrario
de la revanche qui « rend la pareille ». Cela signifie que la mesure de la punition infligée est
subjective - elle dépend de la libre appréciation de l’offensé - et non pas objective comme l’est
celle de la revanche - où elle est l’égale du mal reçu. Si la définition de la vengeance se différencie
de la première définition de la revanche, il y a cependant de nombreuses similitudes avec la
seconde.
La vengeance n’est donc pas tout à fait la revanche : elle se veut subjective et
dépendante de la libre-volonté de l’offensé, alors que la revanche est davantage objective et
indépendante.
Photo
Aspects du concept de vengeance dans l’Antiquité gréco-latine

La vengeance est un concept très ancien, il paraît donc juste de l’étudier dans un premier
temps à la lumière de l’Antiquité gréco-latine. Celle-ci était même personnifiée, ou plutôt déifiée, en
la divinité Némésis, déesse de la juste colère des dieux et de la rétribution céleste - à cet égard,
une comparaison avec l’Epître aux Romains rédigée par l’apôtre Paul sera faite dans la section
dédiée au christianisme. Les mythes liés à cette déesse nous en apprennent en effet un peu plus
sur ce qu’est la vengeance. Entre autres, celui du rituel “Nemesia“ à Athènes. Selon Sophocle
(Electre), les morts avaient la puissance de punir les vivants si leur culte avait été négligé. Dans
cette optique, les Athéniens rendaient hommage aux morts par cet office particulier attribué de
manière latente à la déesse de la vengeance, Némésis.
Les conséquences de l’utilisation de la vengeance par l’homme sont donc manifestes. En
premier lieu, elle s’avère être néfaste, voire destructrice, pour l’homme. Au-delà du rituel sus-cité,
Hésiode, en référence à la déesse de la vengeance Némésis, écrit dans sa Théogonie qu’elle est le « fléau des hommes mortels ». Dès lors, elle est vengeresse de crimes, elle est implacable, et
on ne peut y échapper (d’où son surnom Adrastée). Plus communément, la vengeance est à
double-face pour l’hybris de l’homme : elle est à la fois, bien souvent, 1 catalyseur de cette
caractéristique propre aux héros, et à la fois punitive sous l’aspect divin.
En effet :
1. La vengeance est action de l’hybris de l’homme, car le héros antique, dans l’ivresse
de réparer l’injure qui lui a été faite, dépasse sa condition d’homme pour tenter de
se hisser à une condition divine, proportionnelle au châtiment qu’il souhaite infliger.
Par exemple, Enée, chanté par Virgile (Enéide), lorsqu’il venge ses compagnons
d’armes.
2. La Vengeance - dans son aspect divin, sous Némésis ou les autres dieux - punit
précisément cet hybris, au sens où le héros est remis à sa place de mortel, comme
en témoignent les nombreuses tragédies d’Eschyle. D’ailleurs, pour reprendre une
définition du dictionnaire d'Anatole Bailly, Némésis était « la déesse de la justice
distributive, qui châtie l'excès de bonheur ou d’orgueil [hybris] ».
En second lieu, et cela fait partie des paradoxes de la vengeance, elle était également
considérée comme positive à Rome. Némésis était souvent vénérée par les gladiateurs victorieux
ainsi que par les généraux.
Pour plus de renseignements sur la vengeance dans l’Antiquité, l’excellente analyse de
Évelyne Scheid-Tissinier dans Les Régulations sociales dans l’Antiquité permet de comprendre
plus en profondeur ce concept.
Photo
la vengeance d'Ulysse

Aperçu de la vision chrétienne de la vengeance

Comme cela est écrit plus haut, la vengeance était d’aspect divin dans l’Antiquité. Mais il
en est de même dans le christianisme. Tolstoy commence son chef-d’oeuvre Anna Karénine -
figure de la vengeance féminine étudiée plus tard - par cet épigraphe extraits de l’Epître aux
Romains de l’apôtre Paul : « C’est à moi que la vengeance appartient, dit le Seigneur. C’est moi
qui rétribuerai. » (« Mihi Vindictam Ego Retribuam » en latin). Ce qui est intéressant ici est moins
l’attribution à Dieu de la capacité de venger - que l’on retrouve dans l’épisode biblique de l’Arche
de Noé par exemple - que le caractère exclusif de la possession. En effet, cela sous-entend que
l’homme n’a pas le droit de venger. Dans le Lévitique (troisième des cinq livres de la Torah) il est
d’ailleurs écrit : « Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de
ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Eternel. » Même la vengeance
aveugle vis-à-vis d’un meurtrier est proscrite : dans la Genèse, alors que Caïn a tué son frère Abel,
« le Seigneur mit un signe sur Caïn pour que quiconque le trouve ne le tue pas » afin qu’Abel ne
soit pas vengé par un mortel soucieux de réparer le tort fait à Abel.
A cette interdiction de vengeance est donc logiquement associée la punition si cette règle
est outrepassée. L’aspect punitif par les instances divines est donc commun entre l’analyse de la
vengeance à travers l’Antiquité gréco-latine et celle du christianisme. Toujours dans l’épisode du
meurtre d’Abel par Caïn, Dieu s’exclame au moment où il se rend compte du crime commis :
« Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang
de ton frère. Quand tu travailleras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et
vagabond sur la terre. » (Genèse, 4.1-15).
Ainsi la vengeance selon le christianisme est-elle divine - elle appartient à Dieu -,
exclusive - à lui seulement -, et punitive - un châtiment est réservé à l’homme qui enfreint la
règle.

Deux paradoxes psychologiques de la vengeance

D’un point de vue passif, le paradoxe du spectateur de la vengeance. Il y a un certain
plaisir à vivre une vengeance par procuration - alors que celle-ci est proscrite - : les tragédies
grecques, où s’opèrent la catharsis, en sont les plus dignes exégètes. Prenons, pour illustrer, la
tragédie Les Perses d’Eschyle, écrite après les victoires grecques de Salamine et de Platées. Elle
peint la victoire inespérée des Grecs sur leurs ennemis de toujours, les Perses, lors de la
deuxième guerre médique. C’est une véritable vengeance de la part des Grecs, après avoir
essuyés de nombreux affront de l’empire perse. C'est donc en vivant cette vengeance par
procuration qu’a lieu la catharsis (« purgation des passions ») en jouant avec les émotions des
spectateurs. La trame, les faits et la narration fascinent les spectateurs, alors que la souffrance
des Perses les réjouit. D’un côté, cette souffrance représentée et imaginée est repoussante et
amorale, mais, d’un autre côté, le spectateur a un intérêt personnel à cette contemplation, comme
l’explique Luc Boltanski dans La souffrance à distance - Moral humanitaire, médias et politique
(1993) : « Adoptons maintenant la place du spectateur. Soit un spectateur contemplant à distance
un malheureux qui souffre et qu’il ne connaît pas, qui ne lui est rien, ni parent, ni ami, ni même
ennemi. […] Celui qui observe la souffrance d’autrui sans indifférence et sans lever le petit doigt
pour la soulager s’expose à l’accusation de regarder pour son propre compte, par intérêt, parce
que ça l’intéresse, ou même par plaisir. »
D’un point de vue actif, le paradoxe de la maîtrise de la vengeance. En effet, s’interroger
sur sa dimension psychologique, c’est indéniablement s’interroger sur la place qu’elle occupe au
sein du duo nature / culture de l’homme. Mais elle trouverait son origine ni exclusivement dans
l’une, ni dans l’autre, mais puiserait sa source dans les deux. Concernant l’ancrage dans la nature
de l’être humain, les neurologues pensent que le cerveau humain trouve du plaisir à la vengeance,
tout comme il en ressent lors d’une addiction. Selon Michael McCullough, professeur de
psychologie à l’Université de Miami, le concept de vengeance est profondément ancré dans
l’évolution (Beyond Revenge : The Evolution of the Forgiveness Instinct, 2008). Pour autant, si elle
s’ancre en partie dans la nature de l’homme, comment se fait-il qu’il lui est si difficile de la maîtriser
(culture) ? En effet, la vengeance est bien souvent connotée négativement, mais quand vient le
moment de la refouler, l’homme témoigne d’une grande faiblesse. Ce qu’explique Michael
McCullough : « Avec tout [ce que nous savons], pardonner semble être la chose raisonnable à
faire. Mais c’est dur. Il est facile de confondre pardon et faiblesse, et c’est la dure réalité de notre
univers social d’aujourd’hui : l’inaction est facile à confondre avec un manque de courage. »2 Une
des explications données à ce paradoxe : la satisfaction personnelle que procure la vengeance.
Tolstoy, Dostoyevsky, Kafka : la vengeance en trois plumes
Le thème de la vengeance est plus que jamais présent dans la littérature. Cependant, des
aspects originaux de la vengeance, qui sortent des sentiers battus (comme la vengeance
passionnelle, la vengeance romantique, etc), ont pu être traités par Dostoyevsky, Tolstoy et Kafka.
D’abord, l’écrivain russe du XIXe siècle Fyodor Dostoyevsky avec son roman Les Carnets
du Sous-sol. Il s’agit ici de vengeance maladive. Par vengeance maladive, il faut entendre celle
qui nous ronge de l’intérieur, qui change notre être, qui devient profondément personnelle et que
l’on ne peut guérir sans opérer un travail sur soi d’une grande ampleur. Bien souvent, elle sévit
sous le joug de l’irrationnel, et elle ne peut être comprise par n’importe qui d’autre. Voici ici la
brillante analyse de Nikola Milosevic dans Nietzsche et Strindberg : psychologie de la
connaissance, à propos de la vengeance maladive du héros du roman de Dostoyevsky : « Le
héros de l’Esprit souterrain tourne et retourne cette offense pendant des années, en cherchant à
se venger, mais sans avoir assez de force pour en tirer vengeance. Il suit son tortionnaire,
découvre son adresse, écrit une satire dont cet officier est le protagoniste et le comble de sa
vengeance est que, après une série de tentatives manquées, il refuse de reculer devant lui dans la rue. Et, à la veille de cet « exploit » qu’il envisage d’accomplir, le héros de Dostoyevsky ne dort
pas pendant deux ou trois nuits en attendant « le règlement de comptes » imminent. »
Ensuite, son compatriote Tolstoy à travers son oeuvre Anna Karénine, où il s’agit, dans une
certaine optique, de refus de vengeance. En effet, pour Tolstoy : « Ne vous préoccupez pas de la
vengeance lors de votre vie : deux torts n’ont jamais donné un bienfait. » Il s’attache d’ailleurs à
suivre la morale chrétienne : peu importe à quel point Anna Karénine est coupable (d’adultère
notamment), ce n’est pas à nous de la condamner, mais à Dieu. En ce sens, ceux qui se sont
senti, dans le roman, offensé ou humilié par Anna Karénine n’ont pas à se venger d’elle ; de
même, le lecteur n’a pas à la blâmer pour son comportement qui va à l’encontre des moeurs
russes de l’époque. Le refus de la vengeance, pour Tolstoy, est le début de l’acceptation du
pardon.
Enfin, Franz Kafka et Le Procès, qui est remarquable dans notre étude pour l’impossibilité
de la vengeance. Il s’agit, peut-être, de l’un des pires aspects de la vengeance pour l’offensé :
l’impossibilité de la réaliser, c’est-à-dire l’incapacité de réparer le tort et de punir en retour. Le
thème de la vengeance n’est quasiment presque jamais associée à cette oeuvre de Kafka par les
spécialistes ; cependant, à mon sens, on peut en faire une lecture assez intéressante qui met en
lumière cette notion d’impossibilité de la vengeance. L’acharnement de la Justice et des huissiers,
décrit par Kafka, envers le héros K. est le reflet d’une atrocité éthique et psychologique
absolument abominable. K. est donc torturé, au sens littéral, moralement - voire physiquement, si
on prend en compte l’épuisement physique du héros, qui est manifeste dans l’oeuvre, pour
échapper des griffes de cette Justice injuste. En plus de cela, la vie de K. est ruinée. Compte-tenu
de toutes ces données, il apparaît tout à fait légitime - nous reviendrons plus tard sur ce terme
lorsqu’il est associé à la vengeance - que K. aspire à se venger de cette Justice inique.
Cependant, Kafka décrit avec brio l’impossibilité de K. d’agir de quelques manières que ce soit
envers cette Justice invisible et inatteignable : il est condamné à s’y soumettre et à accepter sa
condition sans pouvoir se venger, tel Sisyphe condamné à pousser sa pierre au sommet pour
l’éternité sans autre action possible.
Photo
Petite histoire de la vengeance institutionnalisée

Ce qui est frappant à propos de la vengeance, c’est qu’elle était, d’une certaine manière,
institutionnalisée au sein des premières sociétés, avant qu’elle ne soit progressivement refoulée et
vue d’un mauvais oeil - du moins en apparence - dans le monde contemporain.
La Loi du Talion est l’une de ces premières formes institutionnelles de la vengeance ; elle
consiste à « rendre la pareille », notamment pour éviter toute escalade de violence. Déjà, « les
premiers signes de la loi du talion sont trouvés dans le Code de Hammurabi, en 1730 avant notre
ère, dans le royaume de Babylone » (Wikipédia), mais on la retrouve aussi chez Eschyle dans ses
Choéphores : « Qu’un coup meurtrier soit puni d’un coup meurtrier ; au coupable le châtiment. »
Dans une optique religieuse, elle est présente aussi bien dans le judaïsme (« Ton oeil sera sans
pitié : vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » Deutéronome)
que dans l’islam, mais elle est au contraire proscrite par le christianisme (« Au contraire, si
quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. » Matthieu 5,38-42), témoignant donc
bien de sa présence dans la vie sociale.
Une seconde forme institutionnelle de la vengeance est par exemple celle du duel
d’honneur, apparaissant après 1547 en France. Il est notamment codifié en France après la
Révolution, comme le montre François Guillet qui rapporte, dans La Mort en face, histoire du duel
de la Révolution à nos jours, cette codification : armes légales (épée, pistolet, sabre) ; choix de
l'offensé pour la date, le lieu et les armes du duel ; nombres de témoins (deux pour le pistolet,
quatre pour l'épée ou le sabre) ; et types de duels (au premier sang ou à mort, au commandement,
au visé, etc.). Le duel consiste bien à laver l’affront reçu en tentant de punir l’auteur de cette
offense, si bien qu’il reflète une intégration de la vengeance dans les moeurs de la société. La vendetta fait également partie de ces formes institutionnelles de la vengeance, bien que
légèrement différente. Il s’agit d’un mot d’origine italienne qui signifie vengeance et qui
correspondait à une situation de guerre inter-familiale à caractère privée. Par exemple, Dominque
Colas évoque dans son ouvrage Sociologie politique la particularité de la vendetta corse où,
contrairement aux guerres modernes où des anonymes tuent des anonymes, on sait qui doit tuer
et qui doit être tué.
Pour autant, les formes institutionnelles de la vengeance ont été peu à peu déprécié. Déjà,
Francis Bacon écrivait dans ses Essais que « la vengeance est une justice sauvage ». Or, le
principe même de la justice étant le fait d’être propre à la société humaine, l’association de ce
terme à celui de « sauvage » montre bien à quel point toute forme institutionnelle de vengeance
n’en est que plus proscrite. Plus récemment, une des formes les plus extrêmes de la vengeance
institutionnalisée a disparu en France : la peine de mort. Elle consistait en la forme ultime de ce
type de vengeance, dans la mesure où, suivant la définition de la vengeance donnée en ce début
d’article, donner la mort est le châtiment ultime qui implique la fin du processus de vengeance
entre deux personnes - on ne peut punir à mort l’auteur de notre propre mort. Il pourrait donc être
intéressant de poser la question d’une nécessité ou non d’une vengeance institutionnalisée au
sein de notre monde contemporain, alors que certaines formes latentes subsistent toujours - quid
de certaines guerres ?

La quête de la vengeance
Qu’est-ce donc qui nous pousse à poursuivre cette quête de vengeance alors ? Si les
paradoxes et explications psychologiques présentés plus tôt en sont une cause, cela ne
correspond pas à une étiologie complète de la vengeance. Beaucoup de notions on été mentionné
dans cet article, mais il manque cependant celle de l’honneur, fondamentale dans notre explication
de quête de la vengeance. Rousseau en a bien cerné les enjeux dans son Discours sur l’origine et
les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « Chacun commença à regarder les autres et à
vouloir être regardé, et l’estime publique eut un prix. […] De ces préférences naquirent d’un côté la
vanité et le mépris, et de l’autre la honte et l’envie. » De là naît aussi la vengeance, dans la
mesure où si elle ne concernait que l’individu offensé et l’auteur de l’offense, sans n’avoir aucun
écho au sein de la société, elle revêtirait bien souvent un caractère absurde - il s’agit, en quelque
sorte, du prix de la publicité.
Ce qui nous amène à nous poser la question de la légitimité de la vengeance. Si le cadre
légal de la vengeance se rétrécit voire disparaît au fil des siècles - comme cela a été mentionné
plus haut -, il en est autrement de sa légitimité qui se veut immuable. Mais comment l’évaluer ? Ce
qui est légitime est ce qui est conforme à la loi, mais laquelle ? La loi positive (établie par la société
civile) ou bien la loi naturelle ? Il s’agit ici d’un débat sans fin, compte-tenu de l’absence de
définition précise et d’accord commun sur ce que sont les lois naturelles et leur degré d’application
au sein du droit positif. C’est pourquoi le concept de vengeance est si intéressant : on ne peut pas
en définir sa légitimité - elle est nécessaire pour l’offensé, et une bêtise pour un tiers neutre -, ce
que montre l’évolution de son caractère légal au fil des siècles.
Photo

Alternatives à la vengeance

Trouver une alternative à la vengeance, c’est se défaire des griffes des remords lorsque
celle-ci n’est pas totalement assumée, ou, mieux, éviter le pire dans le cas d’une vengeance
extrême et disproportionnée. C’est également transformer le ressentiment que l’on éprouve face à
l’auteur de l’offense en un sentiment nettement plus fertile.
L’une des deux alternatives effectives est, évidemment, le pardon, notamment dans sa
dimension chrétienne. Le pardon est à la fois le refus de la vengeance - comme dans le cas suscité
de Tolstoy - et à la fois sa destruction - pardonner, c’est affecter durablement l’auteur de
l’offense. A ce titre, le pardon chrétien est révélateur. Dans la parabole du fils prodigue
(Lc 15. 11-32), si le pardon du père est le fruit de la repentance du fils, il n’empêche que le père
abandonne toute idée de vengeance envers son fils une fois pardonné. Il convainc également son
fils ainé, qui ne comprend pas son comportement, des bienfaits de pardonner à son frère cadet.
Mieux, on retrouve ce refus de vengeance dans tous les aspects du christianisme, même les plus
profonds : le pardon fait partie de la prière du Notre Père (« Pardonne-nous nos offenses, comme
nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés »). Ce refus de la vengeance est donc
célébré dans le christianisme. D’ailleurs, il porte également en lui la destruction de l’acte de la
vengeance, dans la mesure où pardonner, c’est briser la chaîne chronologique de la
vengeance.
De même que le pardon, l’oubli peut être une alternative à la vengeance. Oublier, c’est
effacer volontairement ou involontairement les traces du passé : il créé une discontinuité dans le
temps. En ce sens, si la vengeance perd son motif - si l’offense est oubliée à défaut d’être
pardonnée -, alors elle n’a plus de raisons d’être. Un retour dans la mythologie gréco-latine
s’impose ici. Homère raconte, dans l’Odyssée, le périple d’Ulysse qui le conduit, avec ses
compagnons, sur l’île des Lotophages, c’est-à-dire mangeurs de lotos, le « fruit de miel » qui
provoque un oubli artificiel permettant à ces indigènes de vivre en paix. Dès lors, par le fait
d’oublier les querelles internes, ces indigènes ne connaissent pas la vengeance. Plus qu’une
simple alternative donc, l’oubli est la capacité de se défaire du joug de l’égo pour vaincre
l’envie de vengeance. Cependant, l’oubli n’est-il pas qu’une forme plus élevée de la vengeance ?
C’est ce que suggère du moins l’écrivain espagnol du XVIIe siècle, Baltasar Gracian : « Il n’y a pas
de plus haute vengeance que l’oubli » (L’Homme de cour).
Conclusion
In fine, avoir étudié la vengeance sous ses aspects historiques, religieux, psychologiques,
littéraires, institutionnels et légitimes permettent de la comprendre, si ce n’est de mieux la
maîtriser. Quoiqu’il en soit, cette étude nous apprend que la vengeance ne nous appartient pas
totalement - elle était divine, elle devient juridique, puis se mue en interdit - mais qu’on ne cesse,
pour autant, de la rechercher et de l’exécuter. La vengeance serait donc, somme toute, le dernier
reliquat du sacré en l’homme : un enchantement divin pour contenir le désenchantement du
monde.

Tom Caillet
0 Commentaires



Laisser une réponse.

    Auteur

    Écrivez quelque chose sur vous. Pas besoin d'en rajouter, mentionnez juste l'essentiel.

    Archives

    Juin 2017
    Mai 2017
    Avril 2017
    Mars 2017
    Février 2017
    Janvier 2017
    Décembre 2016
    Novembre 2016
    Octobre 2016
    Septembre 2016
    Août 2016
    Juillet 2016
    Juin 2016
    Avril 2016
    Mars 2016
    Février 2016
    Décembre 2015
    Novembre 2015
    Octobre 2015

    Catégories

    Tout
    Art
    Bien être
    Droit
    égalité
    Femmes
    Management
    Philosophie
    Politique
    Temps

    Flux RSS

Home
About
Contact
L'Objectif est un journal contributif de la jeunesse. For the Youth. By the Youth. Pour vous. Par vous. Pour contribuer, envoyez votre texte à lobjectifjournal@gmail.com.

Nous sommes des étudiants, des jeunes de différents horizons, cultures, pensées, animés par une même passion et une même envie: changer les choses qui doivent l'être. Pour cela, commençons par écrire de manière engagée et authentique, et il n'y a pas meilleur moyen que le journalisme. 

Et vous dans tout ça? Vous êtes inclus dans le Nous, si vous voulez nous rejoindre et mener ensemble notre projet. ​
  • Home
  • Actualité
  • économie
  • Formes littéraires libres
  • Style
  • UNDRGLOBE
  • Lifestyle
  • Musique
  • Contact
    • Accueil
  • Interviews
  • Je Contribue