« Quand naissent les blessures et humiliations de l’être, les frustrations et désillusions de la vie, la force du désir individuel, outrepassant la mesure, se fait l'autre de la raison : alors la vengeance devient désir furieux, à l'origine de représailles punitives et belliqueuses. » Raymond Verdier, Vengeance Définitions La notion de vengeance fait partie de ces concepts dont on croit savoir à quoi il se réfère, mais dont on ne saurait précisément définir sa nature, son origine et ses aspects éthiques. Lorsque l’on pense à la vengeance, une autre notion apparaît de fait : celle de la revanche. Or, ces deux concepts sont bel et bien distincts. S’ils sont issus de la même racine étymologique - du latin vindicare, réclamer justice -, une variante s’opère dans le sens commun donné à ces deux concepts, et une distinction majeure apparaît lorsque l’on étudie la notion de vengeance à travers différents prismes, notamment religieux et antique. Dans ses acceptions communes, la revanche est : 1) « l’action de rendre la pareille pour un mal que l’on a reçu » (Dictionnaire Larousse) et 2) la « seconde partie que l’on joue pour donner au perdant la possibilité de gagner à son tour » (Dictionnaire Larousse). Des similitudes et différences peuvent être notées en comparaison de la définition de la vengeance : « action de procurer la réparation d’une offense en punissant l’auteur » (Dictionnaire Larousse). La vengeance est donc issue d’une offense reçue, à distinguer d’un mal. L’offense est une injure, c’est-à-dire qu’elle trouve sa racine dans une mise à mal de l’égo ou de l’honneur, alors qu’un mal est bien plus général et recouvre différents champs. La vengeance implique alors un châtiment, a contrario de la revanche qui « rend la pareille ». Cela signifie que la mesure de la punition infligée est subjective - elle dépend de la libre appréciation de l’offensé - et non pas objective comme l’est celle de la revanche - où elle est l’égale du mal reçu. Si la définition de la vengeance se différencie de la première définition de la revanche, il y a cependant de nombreuses similitudes avec la seconde. La vengeance n’est donc pas tout à fait la revanche : elle se veut subjective et dépendante de la libre-volonté de l’offensé, alors que la revanche est davantage objective et indépendante. Aspects du concept de vengeance dans l’Antiquité gréco-latine La vengeance est un concept très ancien, il paraît donc juste de l’étudier dans un premier temps à la lumière de l’Antiquité gréco-latine. Celle-ci était même personnifiée, ou plutôt déifiée, en la divinité Némésis, déesse de la juste colère des dieux et de la rétribution céleste - à cet égard, une comparaison avec l’Epître aux Romains rédigée par l’apôtre Paul sera faite dans la section dédiée au christianisme. Les mythes liés à cette déesse nous en apprennent en effet un peu plus sur ce qu’est la vengeance. Entre autres, celui du rituel “Nemesia“ à Athènes. Selon Sophocle (Electre), les morts avaient la puissance de punir les vivants si leur culte avait été négligé. Dans cette optique, les Athéniens rendaient hommage aux morts par cet office particulier attribué de manière latente à la déesse de la vengeance, Némésis. Les conséquences de l’utilisation de la vengeance par l’homme sont donc manifestes. En premier lieu, elle s’avère être néfaste, voire destructrice, pour l’homme. Au-delà du rituel sus-cité, Hésiode, en référence à la déesse de la vengeance Némésis, écrit dans sa Théogonie qu’elle est le « fléau des hommes mortels ». Dès lors, elle est vengeresse de crimes, elle est implacable, et on ne peut y échapper (d’où son surnom Adrastée). Plus communément, la vengeance est à double-face pour l’hybris de l’homme : elle est à la fois, bien souvent, 1 catalyseur de cette caractéristique propre aux héros, et à la fois punitive sous l’aspect divin. En effet : 1. La vengeance est action de l’hybris de l’homme, car le héros antique, dans l’ivresse de réparer l’injure qui lui a été faite, dépasse sa condition d’homme pour tenter de se hisser à une condition divine, proportionnelle au châtiment qu’il souhaite infliger. Par exemple, Enée, chanté par Virgile (Enéide), lorsqu’il venge ses compagnons d’armes. 2. La Vengeance - dans son aspect divin, sous Némésis ou les autres dieux - punit précisément cet hybris, au sens où le héros est remis à sa place de mortel, comme en témoignent les nombreuses tragédies d’Eschyle. D’ailleurs, pour reprendre une définition du dictionnaire d'Anatole Bailly, Némésis était « la déesse de la justice distributive, qui châtie l'excès de bonheur ou d’orgueil [hybris] ». En second lieu, et cela fait partie des paradoxes de la vengeance, elle était également considérée comme positive à Rome. Némésis était souvent vénérée par les gladiateurs victorieux ainsi que par les généraux. Pour plus de renseignements sur la vengeance dans l’Antiquité, l’excellente analyse de Évelyne Scheid-Tissinier dans Les Régulations sociales dans l’Antiquité permet de comprendre plus en profondeur ce concept. Aperçu de la vision chrétienne de la vengeance Comme cela est écrit plus haut, la vengeance était d’aspect divin dans l’Antiquité. Mais il en est de même dans le christianisme. Tolstoy commence son chef-d’oeuvre Anna Karénine - figure de la vengeance féminine étudiée plus tard - par cet épigraphe extraits de l’Epître aux Romains de l’apôtre Paul : « C’est à moi que la vengeance appartient, dit le Seigneur. C’est moi qui rétribuerai. » (« Mihi Vindictam Ego Retribuam » en latin). Ce qui est intéressant ici est moins l’attribution à Dieu de la capacité de venger - que l’on retrouve dans l’épisode biblique de l’Arche de Noé par exemple - que le caractère exclusif de la possession. En effet, cela sous-entend que l’homme n’a pas le droit de venger. Dans le Lévitique (troisième des cinq livres de la Torah) il est d’ailleurs écrit : « Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Eternel. » Même la vengeance aveugle vis-à-vis d’un meurtrier est proscrite : dans la Genèse, alors que Caïn a tué son frère Abel, « le Seigneur mit un signe sur Caïn pour que quiconque le trouve ne le tue pas » afin qu’Abel ne soit pas vengé par un mortel soucieux de réparer le tort fait à Abel. A cette interdiction de vengeance est donc logiquement associée la punition si cette règle est outrepassée. L’aspect punitif par les instances divines est donc commun entre l’analyse de la vengeance à travers l’Antiquité gréco-latine et celle du christianisme. Toujours dans l’épisode du meurtre d’Abel par Caïn, Dieu s’exclame au moment où il se rend compte du crime commis : « Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Quand tu travailleras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre. » (Genèse, 4.1-15). Ainsi la vengeance selon le christianisme est-elle divine - elle appartient à Dieu -, exclusive - à lui seulement -, et punitive - un châtiment est réservé à l’homme qui enfreint la règle. Deux paradoxes psychologiques de la vengeance D’un point de vue passif, le paradoxe du spectateur de la vengeance. Il y a un certain plaisir à vivre une vengeance par procuration - alors que celle-ci est proscrite - : les tragédies grecques, où s’opèrent la catharsis, en sont les plus dignes exégètes. Prenons, pour illustrer, la tragédie Les Perses d’Eschyle, écrite après les victoires grecques de Salamine et de Platées. Elle peint la victoire inespérée des Grecs sur leurs ennemis de toujours, les Perses, lors de la deuxième guerre médique. C’est une véritable vengeance de la part des Grecs, après avoir essuyés de nombreux affront de l’empire perse. C'est donc en vivant cette vengeance par procuration qu’a lieu la catharsis (« purgation des passions ») en jouant avec les émotions des spectateurs. La trame, les faits et la narration fascinent les spectateurs, alors que la souffrance des Perses les réjouit. D’un côté, cette souffrance représentée et imaginée est repoussante et amorale, mais, d’un autre côté, le spectateur a un intérêt personnel à cette contemplation, comme l’explique Luc Boltanski dans La souffrance à distance - Moral humanitaire, médias et politique (1993) : « Adoptons maintenant la place du spectateur. Soit un spectateur contemplant à distance un malheureux qui souffre et qu’il ne connaît pas, qui ne lui est rien, ni parent, ni ami, ni même ennemi. […] Celui qui observe la souffrance d’autrui sans indifférence et sans lever le petit doigt pour la soulager s’expose à l’accusation de regarder pour son propre compte, par intérêt, parce que ça l’intéresse, ou même par plaisir. » D’un point de vue actif, le paradoxe de la maîtrise de la vengeance. En effet, s’interroger sur sa dimension psychologique, c’est indéniablement s’interroger sur la place qu’elle occupe au sein du duo nature / culture de l’homme. Mais elle trouverait son origine ni exclusivement dans l’une, ni dans l’autre, mais puiserait sa source dans les deux. Concernant l’ancrage dans la nature de l’être humain, les neurologues pensent que le cerveau humain trouve du plaisir à la vengeance, tout comme il en ressent lors d’une addiction. Selon Michael McCullough, professeur de psychologie à l’Université de Miami, le concept de vengeance est profondément ancré dans l’évolution (Beyond Revenge : The Evolution of the Forgiveness Instinct, 2008). Pour autant, si elle s’ancre en partie dans la nature de l’homme, comment se fait-il qu’il lui est si difficile de la maîtriser (culture) ? En effet, la vengeance est bien souvent connotée négativement, mais quand vient le moment de la refouler, l’homme témoigne d’une grande faiblesse. Ce qu’explique Michael McCullough : « Avec tout [ce que nous savons], pardonner semble être la chose raisonnable à faire. Mais c’est dur. Il est facile de confondre pardon et faiblesse, et c’est la dure réalité de notre univers social d’aujourd’hui : l’inaction est facile à confondre avec un manque de courage. »2 Une des explications données à ce paradoxe : la satisfaction personnelle que procure la vengeance. Tolstoy, Dostoyevsky, Kafka : la vengeance en trois plumes Le thème de la vengeance est plus que jamais présent dans la littérature. Cependant, des aspects originaux de la vengeance, qui sortent des sentiers battus (comme la vengeance passionnelle, la vengeance romantique, etc), ont pu être traités par Dostoyevsky, Tolstoy et Kafka. D’abord, l’écrivain russe du XIXe siècle Fyodor Dostoyevsky avec son roman Les Carnets du Sous-sol. Il s’agit ici de vengeance maladive. Par vengeance maladive, il faut entendre celle qui nous ronge de l’intérieur, qui change notre être, qui devient profondément personnelle et que l’on ne peut guérir sans opérer un travail sur soi d’une grande ampleur. Bien souvent, elle sévit sous le joug de l’irrationnel, et elle ne peut être comprise par n’importe qui d’autre. Voici ici la brillante analyse de Nikola Milosevic dans Nietzsche et Strindberg : psychologie de la connaissance, à propos de la vengeance maladive du héros du roman de Dostoyevsky : « Le héros de l’Esprit souterrain tourne et retourne cette offense pendant des années, en cherchant à se venger, mais sans avoir assez de force pour en tirer vengeance. Il suit son tortionnaire, découvre son adresse, écrit une satire dont cet officier est le protagoniste et le comble de sa vengeance est que, après une série de tentatives manquées, il refuse de reculer devant lui dans la rue. Et, à la veille de cet « exploit » qu’il envisage d’accomplir, le héros de Dostoyevsky ne dort pas pendant deux ou trois nuits en attendant « le règlement de comptes » imminent. » Ensuite, son compatriote Tolstoy à travers son oeuvre Anna Karénine, où il s’agit, dans une certaine optique, de refus de vengeance. En effet, pour Tolstoy : « Ne vous préoccupez pas de la vengeance lors de votre vie : deux torts n’ont jamais donné un bienfait. » Il s’attache d’ailleurs à suivre la morale chrétienne : peu importe à quel point Anna Karénine est coupable (d’adultère notamment), ce n’est pas à nous de la condamner, mais à Dieu. En ce sens, ceux qui se sont senti, dans le roman, offensé ou humilié par Anna Karénine n’ont pas à se venger d’elle ; de même, le lecteur n’a pas à la blâmer pour son comportement qui va à l’encontre des moeurs russes de l’époque. Le refus de la vengeance, pour Tolstoy, est le début de l’acceptation du pardon. Enfin, Franz Kafka et Le Procès, qui est remarquable dans notre étude pour l’impossibilité de la vengeance. Il s’agit, peut-être, de l’un des pires aspects de la vengeance pour l’offensé : l’impossibilité de la réaliser, c’est-à-dire l’incapacité de réparer le tort et de punir en retour. Le thème de la vengeance n’est quasiment presque jamais associée à cette oeuvre de Kafka par les spécialistes ; cependant, à mon sens, on peut en faire une lecture assez intéressante qui met en lumière cette notion d’impossibilité de la vengeance. L’acharnement de la Justice et des huissiers, décrit par Kafka, envers le héros K. est le reflet d’une atrocité éthique et psychologique absolument abominable. K. est donc torturé, au sens littéral, moralement - voire physiquement, si on prend en compte l’épuisement physique du héros, qui est manifeste dans l’oeuvre, pour échapper des griffes de cette Justice injuste. En plus de cela, la vie de K. est ruinée. Compte-tenu de toutes ces données, il apparaît tout à fait légitime - nous reviendrons plus tard sur ce terme lorsqu’il est associé à la vengeance - que K. aspire à se venger de cette Justice inique. Cependant, Kafka décrit avec brio l’impossibilité de K. d’agir de quelques manières que ce soit envers cette Justice invisible et inatteignable : il est condamné à s’y soumettre et à accepter sa condition sans pouvoir se venger, tel Sisyphe condamné à pousser sa pierre au sommet pour l’éternité sans autre action possible. Petite histoire de la vengeance institutionnalisée Ce qui est frappant à propos de la vengeance, c’est qu’elle était, d’une certaine manière, institutionnalisée au sein des premières sociétés, avant qu’elle ne soit progressivement refoulée et vue d’un mauvais oeil - du moins en apparence - dans le monde contemporain. La Loi du Talion est l’une de ces premières formes institutionnelles de la vengeance ; elle consiste à « rendre la pareille », notamment pour éviter toute escalade de violence. Déjà, « les premiers signes de la loi du talion sont trouvés dans le Code de Hammurabi, en 1730 avant notre ère, dans le royaume de Babylone » (Wikipédia), mais on la retrouve aussi chez Eschyle dans ses Choéphores : « Qu’un coup meurtrier soit puni d’un coup meurtrier ; au coupable le châtiment. » Dans une optique religieuse, elle est présente aussi bien dans le judaïsme (« Ton oeil sera sans pitié : vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » Deutéronome) que dans l’islam, mais elle est au contraire proscrite par le christianisme (« Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. » Matthieu 5,38-42), témoignant donc bien de sa présence dans la vie sociale. Une seconde forme institutionnelle de la vengeance est par exemple celle du duel d’honneur, apparaissant après 1547 en France. Il est notamment codifié en France après la Révolution, comme le montre François Guillet qui rapporte, dans La Mort en face, histoire du duel de la Révolution à nos jours, cette codification : armes légales (épée, pistolet, sabre) ; choix de l'offensé pour la date, le lieu et les armes du duel ; nombres de témoins (deux pour le pistolet, quatre pour l'épée ou le sabre) ; et types de duels (au premier sang ou à mort, au commandement, au visé, etc.). Le duel consiste bien à laver l’affront reçu en tentant de punir l’auteur de cette offense, si bien qu’il reflète une intégration de la vengeance dans les moeurs de la société. La vendetta fait également partie de ces formes institutionnelles de la vengeance, bien que légèrement différente. Il s’agit d’un mot d’origine italienne qui signifie vengeance et qui correspondait à une situation de guerre inter-familiale à caractère privée. Par exemple, Dominque Colas évoque dans son ouvrage Sociologie politique la particularité de la vendetta corse où, contrairement aux guerres modernes où des anonymes tuent des anonymes, on sait qui doit tuer et qui doit être tué. Pour autant, les formes institutionnelles de la vengeance ont été peu à peu déprécié. Déjà, Francis Bacon écrivait dans ses Essais que « la vengeance est une justice sauvage ». Or, le principe même de la justice étant le fait d’être propre à la société humaine, l’association de ce terme à celui de « sauvage » montre bien à quel point toute forme institutionnelle de vengeance n’en est que plus proscrite. Plus récemment, une des formes les plus extrêmes de la vengeance institutionnalisée a disparu en France : la peine de mort. Elle consistait en la forme ultime de ce type de vengeance, dans la mesure où, suivant la définition de la vengeance donnée en ce début d’article, donner la mort est le châtiment ultime qui implique la fin du processus de vengeance entre deux personnes - on ne peut punir à mort l’auteur de notre propre mort. Il pourrait donc être intéressant de poser la question d’une nécessité ou non d’une vengeance institutionnalisée au sein de notre monde contemporain, alors que certaines formes latentes subsistent toujours - quid de certaines guerres ? La quête de la vengeance Qu’est-ce donc qui nous pousse à poursuivre cette quête de vengeance alors ? Si les paradoxes et explications psychologiques présentés plus tôt en sont une cause, cela ne correspond pas à une étiologie complète de la vengeance. Beaucoup de notions on été mentionné dans cet article, mais il manque cependant celle de l’honneur, fondamentale dans notre explication de quête de la vengeance. Rousseau en a bien cerné les enjeux dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé, et l’estime publique eut un prix. […] De ces préférences naquirent d’un côté la vanité et le mépris, et de l’autre la honte et l’envie. » De là naît aussi la vengeance, dans la mesure où si elle ne concernait que l’individu offensé et l’auteur de l’offense, sans n’avoir aucun écho au sein de la société, elle revêtirait bien souvent un caractère absurde - il s’agit, en quelque sorte, du prix de la publicité. Ce qui nous amène à nous poser la question de la légitimité de la vengeance. Si le cadre légal de la vengeance se rétrécit voire disparaît au fil des siècles - comme cela a été mentionné plus haut -, il en est autrement de sa légitimité qui se veut immuable. Mais comment l’évaluer ? Ce qui est légitime est ce qui est conforme à la loi, mais laquelle ? La loi positive (établie par la société civile) ou bien la loi naturelle ? Il s’agit ici d’un débat sans fin, compte-tenu de l’absence de définition précise et d’accord commun sur ce que sont les lois naturelles et leur degré d’application au sein du droit positif. C’est pourquoi le concept de vengeance est si intéressant : on ne peut pas en définir sa légitimité - elle est nécessaire pour l’offensé, et une bêtise pour un tiers neutre -, ce que montre l’évolution de son caractère légal au fil des siècles. Alternatives à la vengeance Trouver une alternative à la vengeance, c’est se défaire des griffes des remords lorsque celle-ci n’est pas totalement assumée, ou, mieux, éviter le pire dans le cas d’une vengeance extrême et disproportionnée. C’est également transformer le ressentiment que l’on éprouve face à l’auteur de l’offense en un sentiment nettement plus fertile. L’une des deux alternatives effectives est, évidemment, le pardon, notamment dans sa dimension chrétienne. Le pardon est à la fois le refus de la vengeance - comme dans le cas suscité de Tolstoy - et à la fois sa destruction - pardonner, c’est affecter durablement l’auteur de l’offense. A ce titre, le pardon chrétien est révélateur. Dans la parabole du fils prodigue (Lc 15. 11-32), si le pardon du père est le fruit de la repentance du fils, il n’empêche que le père abandonne toute idée de vengeance envers son fils une fois pardonné. Il convainc également son fils ainé, qui ne comprend pas son comportement, des bienfaits de pardonner à son frère cadet. Mieux, on retrouve ce refus de vengeance dans tous les aspects du christianisme, même les plus profonds : le pardon fait partie de la prière du Notre Père (« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés »). Ce refus de la vengeance est donc célébré dans le christianisme. D’ailleurs, il porte également en lui la destruction de l’acte de la vengeance, dans la mesure où pardonner, c’est briser la chaîne chronologique de la vengeance. De même que le pardon, l’oubli peut être une alternative à la vengeance. Oublier, c’est effacer volontairement ou involontairement les traces du passé : il créé une discontinuité dans le temps. En ce sens, si la vengeance perd son motif - si l’offense est oubliée à défaut d’être pardonnée -, alors elle n’a plus de raisons d’être. Un retour dans la mythologie gréco-latine s’impose ici. Homère raconte, dans l’Odyssée, le périple d’Ulysse qui le conduit, avec ses compagnons, sur l’île des Lotophages, c’est-à-dire mangeurs de lotos, le « fruit de miel » qui provoque un oubli artificiel permettant à ces indigènes de vivre en paix. Dès lors, par le fait d’oublier les querelles internes, ces indigènes ne connaissent pas la vengeance. Plus qu’une simple alternative donc, l’oubli est la capacité de se défaire du joug de l’égo pour vaincre l’envie de vengeance. Cependant, l’oubli n’est-il pas qu’une forme plus élevée de la vengeance ? C’est ce que suggère du moins l’écrivain espagnol du XVIIe siècle, Baltasar Gracian : « Il n’y a pas de plus haute vengeance que l’oubli » (L’Homme de cour). Conclusion In fine, avoir étudié la vengeance sous ses aspects historiques, religieux, psychologiques, littéraires, institutionnels et légitimes permettent de la comprendre, si ce n’est de mieux la maîtriser. Quoiqu’il en soit, cette étude nous apprend que la vengeance ne nous appartient pas totalement - elle était divine, elle devient juridique, puis se mue en interdit - mais qu’on ne cesse, pour autant, de la rechercher et de l’exécuter. La vengeance serait donc, somme toute, le dernier reliquat du sacré en l’homme : un enchantement divin pour contenir le désenchantement du monde. Tom Caillet
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