J’ai passé ces trois derniers jours à ne pas parler, à ne pas pouvoir comprendre ce qu’il se passait. L’émotion était si intense, si pleine, elle me mobilisait tellement, je n’étais que spectateur de ma souffrance. J’essayais de la vivre pleinement, de lui accorder toute la place qu’elle demandait, pour mieux l’accueillir, pour mieux l’exprimer, pour mieux la dépasser. Si nous sommes toujours frappé par la complexité du réel, en vérité la vie humaine est assez simple. Nous sommes habités par deux émotions : la peur, et l’amour. Toutes nos actions sont motivées par l’une de ces deux énergies primaires. Nous sommes trop spectateurs de nos vies. Nous attendons toujours qu’un sauveur vienne nous indiquer la voie. Nous savons que nous sommes faits pour l’amour, mais nous n’avons pas le courage de le vivre. J’ai toujours voulu, comme chacun d’entre nous, au fond de lui-même, changer ce monde. Contribuer à faire de cette Terre ce qu’elle devrait être, une place où chacun puisse vivre dans la joie, la paix, l’harmonie. J’ai toujours voulu changer ce monde, mais je n’ai jamais eu le courage de le faire au présent. Chaque matin, j’avance dans ma voie. Je sais que je changerais le monde, mais demain. Jamais aujourd’hui. Ceux qui veulent détruire notre monde et notre humanité, en revanche, le font maintenant. Ils le détruisent au présent. Alors il ne faut pas se mentir, Paris est en danger. La situation extérieure est dangereuse, et notre santé psychologique extrêmement fragile. Mais nous n’allons pas nous autodétruire jusqu’au bout. Nous allons nous en remettre, même si nous n’en avons pas encore totalement conscience. Aujourd’hui, nous sommes en plein bad-trip. En pleine redescente. La vie semble ne pas avoir de sens. Et si l’expérience du bad-trip est probablement une des expériences les plus noires qu’il soit donné d’éprouver pour un homme, pour un individu, la monstruosité de la situation actuelle est que ce bad-trip est collectif. Mais on s’en sortira. Si nous avons un destin, et je crois que nous en avons un, alors ce n’est pas possible qu’on soit venus sur cette Terre pour partir la vingtaine à peine passée, tués par du néant. Nous devons prendre soin de nous. De soi-même, d’abord, et de tous ceux qu’on aime aussi. Nous devons guérir de ces blessures. C’est la première étape. Nous devons assumer de pleurer lorsque nous en ressentons l’envie. Nous devons dire à nos proches que nous les aimons, lorsque notre coeur nous le fait savoir. Même si ces âmes perdues dans les ténèbres nous frappent à nouveau, ce qui est possible, nous irons bien. Certains d’entre nous peuvent partir, c’est le risque, et il est réel. Mais l’humanité se relèvera, comme elle s’est toujours relevée. Car nous somme la Vie, avec un grand V, et cette Vie a en elle une force inépuisable, infinie, indestructible. Malheureusement, nous avons fait de cette force une faiblesse, et de sa négation une vertu. Nous nous évertuons à croire en la supériorité du plus fort, du plus violent, du plus dur. Nous pensons que l’homme est supérieur à la femme, nous pensons que notre nation, que notre conception de ce que doit être une société est supérieure à celle de nos voisins. Nous pensons que l’humanité dans son ensemble est supérieure à la Vie, et nous nous permettons de la détruire, alors que c’est elle qui nous a amené ici, et qui nous permet d’expérimenter la beauté de ce monde. Dans “Les Frères Karamazov”, Dostoïevski écrivait : “Vous me demandez quand le Royaume des Cieux sera réalisé sur Terre. Je vous réponds que cela sera un jour, mais pas avant que n’ait pris fin l’ère de l’isolement — cet isolement dans lequel vivent les hommes, en notre siècle tout particulièrement, et qui se manifeste dans tous les domaines. Ce règne-là n’a pas encore pris fin, et il n’a même pas atteint son apogée. A l’heure actuelle, chacun s’efforce de goûter la plénitude de la vie en s’éloignant de ses semblables et en recherchant son bonheur individuel. Mais ces efforts, loin d’aboutir à une plénitude de la vie, ne mènent qu’à l’anéantissement total de l’âme, à une sorte de suicide morale par isolement étouffant.” Une fois que ce cycle de terreur sera passé, une fois que l’ère de l’isolement dont parle Dostoïevski aura vécu, nous passerons RÉELLEMENT aux choses sérieuses, on arrêtera de regarder ce monde et de se sentir spectateur. On le fera dans le temps, et ça sera long. On le fera ensemble, ou on ne le fera pas. Et surtout, on le fera dans l’amour. Ca va être dur, et je pense que nous n’imaginons pas les épreuves qui nous attendent. Mais c’est la seule Vie qui mérite ce nom, donc nous allons la vivre. Et personne, à part nous, pourra nous en empêcher. Seulement, cela ne sera possible que si chacun d’entre nous prend le courage de se recueillir avec lui-même, de s’accepter comme il est vraiment. Ce dont nous manquons sur cette Terre, c’est de courage. Nous pensons que le courage est viril, fort, violemment puissant — et forcément masculin. Nous pensons que le courage, c’est de prendre le pouvoir sur le monde, c’est d’être plus fort que les autres, c’est de dominer le monde et notre entourage. En vérité, le seul courage qui soit, c’est de se dominer soi-même. D’accepter la force qui nous traverse et le lien qui nous unit avec nos frères et nos soeurs. D’assumer, de comprendre, et de regarder en face les conséquences de notre manière de vivre. “Le courage est une vertu qui permet d’entreprendre des choses difficiles, en surmontant la peur, et en affrontant le danger, la souffrance (…). C’est depuis longtemps, dans toute civilisation, la vertu la plus admirée, indispensable au héros. Son contraire est la lâcheté”. Ce qui est intéressant, c’est que “courage” vient du mot “coeur”. Aujourd’hui, pourtant, nous le pensons comme tout sauf ce qui nous vient du coeur. L’homme courageux est fort, indépendant, n’a besoin que de lui-même. Il a un “coeur de pierre”, c’est à dire qu’étymologiquement, il n’a pas de courage. Nous devons donc avoir le courage d’aimer, de nous aimer nous-même. C’est la seule possibilité pour aimer le monde extérieur, et donc la seule et unique chance de faire de ce monde autre chose que ce qu’il est aujourd’hui. Et c’est là que les choses se compliquent, car notre responsabilité dans le désastre humain actuel est grande. Nous vivons une crise économique majeure, nous vivons une crise sociale, politique mondiale. Nous détruisons notre environnement chaque jour, sans se soucier d’être ces générations qui auront détruit la Terre et avec elle, l’Homme. Nous sommes exclusivement centrées sur nos vies individuelles, nous n’avons aucune compassion pour ceux qui souffrent à nos côtés. Nous refusons d’admettre que notre mode de vie occidental n’est rendu possible que par l’assujettissement abject d’une majeure partie de l’humanité, de la totalité de notre environnement. En vérité, et cela fait mal à entendre, jusqu’à aujourd’hui nous avons été des êtres profondément destructeurs. Nous commençons d’abord par nous détruire nous-même, puis nous détruisons le reste du monde. Nous nous sentons faibles, nous nous rassurons en nous disant que nous sommes seul et que seul, nous ne pouvons pas changer le monde; mais nous n’avons même pas le courage de nous changer nous-même. Nous continuons tous les jours à entretenir les pires inégalités, nous laissons des pans entiers de notre société vivre en marge, dans des blocs ou des tours immondes, vides de tout sens. Nous aimons nous dire “Pays des Droits de l’Homme”, mais nous laissons une jeunesse d’une grande richesse, mais que nous ne voulons pas apprendre à connaître, vivre en marge de nous, pour ne pas sacrifier notre “confort”. Mais à quel prix ? Nous laissons des peuples entiers se voir réduire en esclavage pour nous offrir un confort dont nous ne voulons même pas et qui, à terme, nous tuera.
Nous savons tout ça, et nous refusons de le voir. C’est pour ça que je me sens responsable. Nous n’avons pas mérité ce que Daesh nous a fait subir. Aucun être sur Terre ne peux mériter un tel carnage. Ce n’est pas ce que je dis et que cela soit bien compris. Mais d’une manière globale, nous refusons tellement de vivre qu’il est normal que notre réalité soit aussi déplorable. Depuis les attentats, on m’a souvent dit qu’on ne devait pas mettre notre mode de vie en question car cela reviendrait à prôner que la “vision” de la “vie” que prône Daesh est la bonne. Mais je suis convaincu que cela est totalement faux. Repenser notre façon de vivre d’une façon plus honnête, lucide, altruiste et bienveillante n’est pas accepter la vie telle que Daesh nous la propose, c’est précisément le contraire. Et la meilleure des réponses à l’atrocité dont nous avons été victime, c’est peut-être cela. Nous avons vu nos rues en sang, nous avons cru que nous ne reverrons plus jamais nos proches, et certains ne reviendront jamais. Nous pensons maintenant que nous venons de vivre ce que la vie a de plus terrible. Pourtant, à peine 24 heures avant, un attentat commis par les mêmes êtres perdus a frappé Beyrouth, tuant plus de 40 innocents et faisant des centaines de blessés. La mobilisation mondiale était loin d’être la même, alors que la même horreur avait frappé, à deux heures de vol de chez nous. Et cela ne s’applique pas qu’aux attentats commis par les fous. J’écris en ce moment sur mon ordinateur. Je sais que cet ordinateur a probablement été fabriqué par des êtres réduits, à peu de chose près, à l’esclavage. Je sais que cela vaut également pour les vêtements que je porte sur moi, et pour un grand nombre de possession inutiles dont je m’entoure. Pourtant, je ne pleure pas. Je ne vois pas le sang et la souffrance des êtres qui m’ont permis de posséder ces choses qui m’apportent si peu, comparé à ce qu’elles nous coutent, à tous. Il ne s’agit pas de dire que nous sommes des monstres, et que ce qui nous arrive est un juste retour des choses. Il s’agit simplement de dire que si nous sommes choqués par ce qu’il se passe, et nous le sommes, si nous voulons ne plus jamais vivre à nouveaux ces choses, nous devons (c’est l’unique solution) repenser intégralement notre rapport à la vie, aux autres, et surtout à nous-même. Nous ne pourrons vivre en paix et dans l’amour sur cette Terre tant que nous continuerons à nous faire du mal individuellement, à vouloir prendre le pouvoir sur les autres, et à détruire notre vie. “La beauté sauvera le monde”, écrivait encore Dostoïevski. Plus que jamais, je pense que cette phrase contient en elle-même tout ce dont nous avons besoin. A nous, désormais, de nous pencher vers ceux qui ont besoin d’amour. Vers nous-même, d’abord, mais aussi et surtout vers tous ces êtres qui depuis vendredi véhiculent des messages irrespectueux, des messages de haine. Car cela n’est que le reflet de la souffrance qu’ils éprouvent intérieurement. Il est facile d’aimer les saints. C’est beaucoup plus dur d’aimer ceux qui ont besoin d’amour, et qui véhiculent la haine. Mais peut-être est-ce là le vrai courage. Commençons donc par aimer ceux qui en ont le plus besoin aujourd’hui, ceux qui, parce qu’ils sont choqués par ces attaques, s’enferment peu à peu dans la haine et la provocation. Et si notre douleur ne nous le permet pas, autorisons-nous au moins à les ignorer, et à ne pas, à notre tour, apporter ce poison dans cette réalité. J’aurais aimé vous écrire en quelques lignes, afin que chacun puisse me lire. La longueur de ce texte peut en décourager certains, mais je ne sais pas exprimer ce message en 140 caractères. Si je devais quand même résumer le coeur de ce message, je vous dirais ceci. La réalité humaine est un rêve. Durant le sommeil, lorsqu’on parvient à vivre ce que nous appelons un “rêve éveillé”, cela veut dire que nous sommes devenus conscient que nous rêvons, et que notre conscience peut décider d’elle-même de vivre l’expérience qu’elle désire vivre. Et bien sur cette Terre, c’est pareil. Mais puisque notre esprit n’est plus seul avec lui-même, mais agit dans la matière, nous avons oublié la puissance de création que nous avons sur le monde. Car dans la matière, les choses se font lentement. Si nous décidons de vivre quelque chose, nous y parviendrons également, mais sur une durée plus longue, puisqu’avec la dimension matérielle, l’espace, vient le temps. Mais pourtant, cette temporalité là ne doit pas nous faire oublier que nous co-créons constamment le monde dans lequel nous vivons. Et puisqu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, nos responsabilités sont à l’image de notre puissance : infinies. Cela veut dire que puisque le monde est destiné à être le reflet extérieur de notre vie intérieure, si nous refusons de vivre en paix avec nous-même, dans l’amour et dans la force, alors nous refusons que cette Terre soit un lieu ou la Vie mérite d’être vécue. Et puisque nous vivons dans la peine, dans la souffrance, en préférant s’oublier plutôt que de se recueillir, se détruire plutôt que de se connaître, alors notre réalité nous renvoie cet état, et cela donne le monde tel que nous le connaissons actuellement. Nous avons donc une responsabilité absolue, en particulier notre génération, cette jeunesse des années 80 et 90, qui arrive aujourd’hui à un état de conscience proche de ce que nous appelons “l’âge adulte”. Bientôt, nous serons les gardiens de ce Monde. Nous avons la chance d’être ici, maintenant, et d’avoir la possibilité de créer cela. Et cela ne sera possible que si nous comprenons notre responsabilité. J’ai eu la chance de rencontrer, à peine quelques heures avant les massacres de vendredi, Dabadi Thaayrohyadi, le chef spirituel du peuple Otomi Toltèque. Ce fut l’une des plus belles rencontres de ma vie. Non pas car il m’apportait des connaissances que j’ignorais, car son message, chacun le connaît déjà, mais parce qu’il avait le courage d’incarner ce en quoi je croyais, et que je n’osais pas dire. Je lui ai demandé s’il était possible d’unifier l’humanité et de dépasser la crise spirituelle générale que l’on connaît actuellement. Il m’a répondu avec la plus grande simplicité que c’était non seulement possible, mais que ça allait se passer, et que cette spiritualité universelle sera celle de l’amour et de la compassion. C’est pour cela que je n’ai pas cité le mot Dieu une seule fois dans ce texte aujourd’hui. Dieu, la Vie, l’Amour, nous pouvons appeler ça comme nous le voulons, mais jamais le langage ne parviendra à enfermer ce souffle, cette énergie qui crée la vie à chaque instant et qui nous habite malgré nous. Si ce que nous appelons Dieu existe, je pense que le meilleure moyen de “le” célébrer, c’est de vivre dans l’amour, plutôt que de se battre sur les définitions que nous tentons d’en faire. Notre esprit ne nous permettra jamais d’englober la totalité de la réalité. En figeant le réel dans des idéologies, des récits, des langages, nous serons déterminés à croire que le monde est ce que nous en avons dit, et que ceux qui, parce qu’ils se sont incarnés sur un autre espace de notre réalité, le disent différemment, sont dans l’erreur. Notre esprit crée des divisions. L’humanité est divisée, c’est un fait, et il ne s’agit pas de nier les différences. Mais pour diviser quelque chose, ne faut-il pas qu’elle soit unie à la base ? Qu’elle soit Un ? Notre esprit ne nous permettra pas d’englober la complexité du réel, donc, mais nos coeurs peuvent nous permettre de la ressentir. Nous devons avoir le courage de prendre la parole, d’affirmer ce que nous pensons, de vivre en accord total avec nous-même. Car quel jugement portons-nous sur nos croyances, sur notre vision de la vie, si nous n’osons pas la communiquer, si nous n’avons pas le courage de la réaliser ? Comment la réalité extérieure pourrait-elle être conforme à ce que nous aimerons qu’elle soit, si nous n’osons même pas affirmer que c’est ce que nous voulons ? Depuis vendredi, je pense que nous sommes arrivés à un stade où, si nous refusons de vivre avec le courage de dépasser nos peurs, nous tomberons dans un chaos que nous ne pouvons pas encore imaginer. C’est pour ça que l’Amour ne doit plus être un idéal abstrait qu’on véhiculera, certes, mais demain. Ce doit être l’absolue nécessité de notre réalité présente. Rendons-nous compte de la magie de la vie que nous vivons. Félix Sd
0 Commentaires
Laisser une réponse. |
AuteurÉcrivez quelque chose sur vous. Pas besoin d'en rajouter, mentionnez juste l'essentiel. Archives
Juin 2017
Catégories
Tout
|
L'Objectif est un journal contributif de la jeunesse. For the Youth. By the Youth. Pour vous. Par vous. Pour contribuer, envoyez votre texte à [email protected].
Nous sommes des étudiants, des jeunes de différents horizons, cultures, pensées, animés par une même passion et une même envie: changer les choses qui doivent l'être. Pour cela, commençons par écrire de manière engagée et authentique, et il n'y a pas meilleur moyen que le journalisme. Et vous dans tout ça? Vous êtes inclus dans le Nous, si vous voulez nous rejoindre et mener ensemble notre projet. |